La limite élastique (1998)
Avec les mots et les chansons d’une époque hédoniste, Daniel Dugas peint le portrait d’une société où l’artificiel est tellement généralisé qu’il fait partie intégrale du paysage. Dans La Limite élastique, un style ironique et humoristique contraste avec le destin tragique de l’humain tel que Dugas le peint. À la fois séduisante et trouble, la poésie de Daniel Dugas est de la plus grande actualité.
Lis-moi l’avenir
lis-moi l’avenir dans les grains d’avoines
dans les silos
dans l’Ouest
lis-moi l’avenir dans les feuilles de thé
dans le mac de café
lis-moi l’avenir
dans les nuances des couleurs
qui dansent
dans les pots des vidanges d’huile
lis-moi la peinture des maisons
qui s’écaillent
et qui sèchent au soleil
lis-moi dans les cendres des feux de forêt
dans les bouts de bois
que les charpentiers laissent
derrière eux
quand ils construisent des maisons
lis-moi l’avenir
dans le bruit des lignes électriques
qui emmène le courant là où on en demande
lis-moi l’avenir dans les sauts des animaux
qui meurent sur les routes
lis-moi l’avenir dans la nuit
qui est noire comme du charbon
lis dans la poussière
dans les livres de recettes
et dans les secrets
lis l’avenir dans les embouteillages du matin
et ceux du soir
dans les changements technologiques
que la science nous donne
dans les puits asséchés
dans les marées
dans les bars dans l’odeur du Liquid Paper
lis-moi l’avenir
quand l’inspecteur de police
parle aux médias d’une situation tendue
quelque part au pays
lis entre les lignes du slogan de Microsoft
“WHERE DO YOU WANT TO GO TODAY”
dans les mosaïques de Pompeï
dans la musique militaire de Souza
lis-moi l’avenir et dis-moi lequel choisir
l’avaleur de sabre
l’avaleur de sable
ou l’avaleur de farine blanche
lis-moi l’avenir dans l’histoire du travail
dans l’importance de la poignée de main
dans la liberté
dans la fortune
et dans les conditions que lui impose le caractère
lis tout l’avenir possible dans les têtes de bronze des statues
lis dans les tempêtes dans les verres d’eau
écoute et dis-moi
ce que dit celui qui se noie dans un crachat
lis dans la canne de vers
qu’il ne faut pas ne pas l’ouvrir
lis-moi l’avenir du libre-marchée
du “UNDREPASS OF THE INFORMATION HIGHWAY”
Haradius Coclès dit le Borgne défendit seul l’entrée du pont Sublicius à Rome. Il permit aux siens de couper le pont derrière lui, puis s’échappa à la nage. Il perdit là un oeil, d’où son surnom.
lis-moi l’avenir
de la stupeur à la somnolence
de la confusion au coma profond
lis l’avenir dans la précession des équinoxes
lis l’avenir
quand l’aviron touche l’eau
et que l’eau embrasse la rame et que du canoë le lac
semble être un miroir
lis-moi dans l’avenir
qu’il est possible
que quelqu’un
dans le centre-ville de São Paulo
entende une épingle tomber
lis que tout ne doit pas être modelé
sur les publicités télévisées
ou le mauvais discours politique
lis-moi l’avenir
qu’il est possible d’apprendre
à coudre
d’apprendre à nager
d’apprendre à dessiner
d’apprendre à danser
d’apprendre à vivre
lis dans l’avenir
de ce qui dit être
résolument ouvert sur le monde
mais qui est en réalité
résolument ouvert à ce que les choses
restent comme elles sont
lis tout haut
que le saint qui a donné tous ses vêtements
ne comprends rien au phénomène “Walmart”
je dis que la révolution ne veut plus rien dire
et que c’est absurde
d’aimer la musique arabe
tout en détestant l’orthodoxie musulmane
Emmanuel Bianco s’est enfoncé un pieux dans l’abdomen, il s’est coupé la gorge et s’est déchiqueté les chairs avec un rasoir. Inondé de sang il s’est brûlé la langue avec un couteau chauffé à blanc et dans le silence de sa chambre il s’est écroulé dans un lac de sang qu’il nomma avant de mourir le lac rouge.
Emmanuel Bianco était un moraliste.
lis-moi l’avenir dans la sueur des boxeurs
dans le degré de réalisme qu’il faudra atteindre
avant de pleurer
lis dans la mission
lis dans l’intermission des marchands
qui sont devenus des idoles et des stars
qu’il faut développer le monde
lis-moi dans les infrastructures touristiques
dans les trous que les vers font dans les pommes
dans l’ombre de la tranquillité
des trous que les vers ont faits dans les pommes
lis-moi l’avenir dans l’intonation des encanteurs
dans les yeux de ceux qui pour une récompense
sont prêts à dénoncer même les plus petits criminels
Un homme dont le nom n’est dans aucun dictionnaire
s’avance dans une pièce et regarde l’audience
Il est décontracté
Il est cool
On a l’impression qu’il s’avance pour longtemps
Il met ses mains dans ses poches
et fait tourner la monnaie encore et encore
et chaque fois le bruit est merveilleux
et cet homme dans le bruit de l’argent qui tourne
tourne aussi Il s’arrête
Il regarde
Le monde est un origami qu’il déplie
Il dit :
J’AIME L’ÉCONOMIE DU LIBRE-MARCHÉ.
ET VOUS?
lis dans l’avenir qui fait le pain
et qui invente la liberté
lis qu’il faut manger
lis dans l’avenir et apporte la définition d’être un GO-GETTER
quand on est devant la mer
et que le ciel et l’eau se mélangent à tel point
qu’il n’est plus possible de discerner aucun horizon
lis dans la pointe du cap
dans la nuit
quand le vertige s’empare de tout
et qu’il faut faire quelque chose
qu’il faut tenter de croire à autre chose qu’au désordre
lis dans l’avenir par les toutes petites fenêtres du grand building
dans la ville qui est une fourmilière
dans le ballet des automobilistes
qui tournent en rond dans le stationnement
dans les arbres verts
dans les rivières
lis par les petites fenêtres
qui ne s’ouvrent
que par leur transparence
lis qu’il est écrit qu’il faut s’acquitter de la liberté du monde
lis moi l’avenir d’être visible
lis moi l’avenir dans la sottise
et aussi dans la raison
qui pousse les banquiers à agir comme ils le font
dans l’avarice et dans les humeurs
dans les amis de Villon
qui sont partis du pas de sa porte
emportés par le vent
lis l’avenir dans la fragilité du monde
dans la lumière qui entoure chaque avion dans le ciel
entre deux villes
chaque enfant
entre deux gifles
lis-moi l’avenir dans le fruit du travail
qui est souvent pourri
lis-moi l’avenir dans le bruit des talons
dans les corridors des institutions
où le granite est un autel
où le savon industriel est le sang des sacrifices
où chaque prisonnier
est le gardien de sa propre peine
dans le silence de l’institution
je me tiens debout
je marche au-dessus du granite
et je souhaite la nature
j’ouvre une porte
et par la fenêtre
je vois une autre institution
où rêve sûrement
un autre ouvrier
un autre concierge
Il me voit
et il me parle
je lis avec difficulté mais je lis sur ses lèvres
Il dit :
“Le bout du monde est une pièce éclairée par une simple ampoule, et quand les rêves s’éteignent c’est d’avoir atteint la limite du monde.”
il s’arrête
nous nous regardons longtemps
je me souviens d’avoir souhaité qu’il sache nager
Read me the Future
read me the future in the grains of oats
in the silos
in the West
read me the future in the tea leaves
in the coffee grinds
read me the future
in the nuances of colour
which dance
in the buckets of used oil
read me the future in the house paint
which blisters and dries in the sun
read me the future in the ashes of forest fires
in the scraps of wood
which carpenters leave behind them
when they build houses
read me the future
in the noise of electric lines
which carry the current to the places where it is needed
read me the future in the leaps of animals
who die on the road
read me the future in the night
that is black as coal
read in the dust
in recipe books
and in the secrets
read me the future in the morning traffic jams
and those at night
in the technological changes
that science gives us
in the dry wells
in the marshes in the bars
in the smell of Liquid Paper
read me the future
when the police inspector
talks to the media in a tight situation
somewhere in the country
read between the lines of the Microsoft slogan
‘WHERE DO YOU WANT TO GO TODAY?’
in the mosaics of Pompei
in the music of Souza
read me the future and tell me which to choose
the sword-swallower
or the sand swallower
or the swallower of white flour
read me the future in the history of work
in the importance of the fist
in freedom
in fortune
and in the conditions which form character
read me all of the futures possible in the heads of bronze statues
read in the tempests in the glasses of water
listen and tell me
what is being said by the one who is drowning in spit
read me in the can of worms
that you cannot but open
read me the future of the free market and the ‘UNDERPASS OF THE INFORMATION HIGHWAY’
The one-eyed Haradius Coclès a.k.a. Le Borgne, is said to have single-handedly defended the entrance of the Sublicius Bridge into Rome. This allowed his people to cut the bridge behind him, he then escaped by swimming. He lost an eye and gained his nickname.
read me the future
between stupor and drowsiness
between confusion and deep coma
read the future in the movement of the equinox
read the future
when the oar touches the water
so that the water embraces the oar
and from the canoe the lake
seems like a mirror
read me in the future
that it is possible
that someone
in downtown Sao-Paolo
can hear a pin drop
tell me that everything cannot be modeled from televised broadcasts
or poor political discourse
read me the future
that it is possible to learn
to sew
to swim
to draw
to dance
to live
read in the future
that which is said to be
absolutely open to the world
but is in reality
totally open
to that things remain as they are
read aloud
that the saint who has given away all of his clothes
understands nothing of the phenomenon ‘Walmart’
I say that the revolution does not mean anything
anymore
and that it is absurd
to love Arab music
while detesting Muslim orthodoxy
Emmanuel Bianco drove a stake into his abdomen, he cut his throat and tore his flesh ragged with a razor. Covered in blood, he burned his tongue with a white-hot knife and in the silence of his room, he fell into a lake of blood which he named Red Lake before dying. Emmanuel Bianco was a moralist.
read me the future in the sweat of boxers
in the degree of realism which must be attained
before crying
read in the mission
read in the intermission of merchants
who have become the idols and the stars
that the world must be developed
read in the touristic infrastructures
in the holes that worms make in apples
in the shadows of the tranquility
of the holes that the worms have made in the apples
read me the future in the intonation of auctioneers
in the eyes of those who
for a reward
are ready to denounce even petty criminals
A man whose name is not in any dictionary
steps forward on a stage and looks at his audience
he is laid-back
he is cool
we have the impression that he has been moving forward for a long time
he puts his hands in his pockets
and turns the loose change
over and over
and each time the noise is wonderful
and in the noise of the money turning
this man also turns
he stops
he looks
the world is an origami that he unfolds
he says: ‘I like the free-market economy, and you?’
read in the future
who makes the bread
and who invents freedom
read that one has to eat
read in the future and bring the definition of being a GO-GETTER
when one is in front of the sea
and the sky and the water become so blended
that it is no longer possible to discern the horizon
read in the tip of the cape
in the night
when the vertigo takes over
and it is necessary to do something
that you have to believe
that there are things other than disorder
read in the future by all of the little windows in a big building
in the city that is an anthill in the ballet of automobiles
which make circles in the parking lot
in the green trees
in the rivers
read by the little windows
which do not open
except by their transparence
read that it is written
that you have to discharge yourself from the liberty of the world
read me the future of being visible
read me the future in the silliness
and in the reason
that pushes the bankers to act as they do
in the greed and in the moods
in the friends of Villon
who have gone by the threshold of his door
carried by the wind
read in the fragility of the world
in the light which wraps each airplane in the sky
between two cities
each child
between each slap in the face
read me the future in the fruit of work
which is often rotten
read me the future in the noise of the high heels
in the corridors of institutions
where the granite is an altar
where the industrial soap is the blood of sacrifices
where each prisoner is the guardian of his own sentence
in the silence of the institution
I stand up
I walk above the granite
and I wish nature
I open a door
and by a window
I see another institution
where maybe
another worker
another janitor
also dreams
he sees me
and he talks to me
I read with difficulty but I read on his lips he says:
‘The end of the world is a room lit by a single light bulb, and when the dreams go out it is to have reached the limit of the world.’
We look at each other for a long time
I remember to have wished that he knew how to swim
Translation : Valerie LeBlanc
From : La limite élastique, 84 pp.
Published in 1998 by Les Éditions Perce-Neige22-140, Botsford
Moncton, NBE1C 4X4
Le bruit des choses (1996)
Le bruit des choses
Collection Poésie
Les Éditions Perce-Neige (Nouveau-Brunswick) Canada
158 pages 1996
ISBN-10: 2920221574
commencer à être
C’est un monde de Bétacam
et la main que je serre
est une main Nitendo
Les lumières de signalisation
sont d’inlassables testaments
du monde instable
C’est un effet électronique
un électrogramme de ma spiritualité
Je remets mon engagement
dans les mains des “bands”
du nouveau monde
Leurs mélodies deviennent
les minutes les plus longues de ma vie
L’Hara-Kiri de Santa-Gougouna (1983)
“Ce qui frappe dans ce receuil, c’est l’effet des mots surgissant du connu mais nous projetant dans une certaine étrangeté…Et dans ces mots, la poésie est souvent là comme au hasard, fantastique et innatendue.”Claude Beausoleil – plus aérien Le Devoir Samedi le 21 janvier 1984
L’Hara-Kiri de Santa-Gougouna
Collection Poésie Les Éditions Perce-Neige
54 pages 1983ISBN: 2-920221-07-0
[dessin de couverture : Paul Édouard Bourque, dessins intérieurs : Marjolaine Bourgeois, Jean-Marc Dugas, Yvon Gallant]
ici il n’y a pas de guerre
les gens mourraient de causes naturelles
et causaient de choses ridicules
à chaque jour j’allais dans la rue
et c’était pire qu’aller à la guerre
les choses ridicules c’était nous
nous qui marchions sans se dire bonjour
nous qui regardions la pointe de nos souliers
comme si c’était ces pointes de sable
qui vont se défaire
quand les marées en reviendront d’avoir défait
les pointes de l’autre côté du monde
ici il n’y a pas de guerre
les gens mourraient de causes naturelles
et causaient de choses ridicules
et je me rappelle
nous avions les cheveux gras
nous avions la peau grasse
et l’âme aussi s’en allait grasse
et dieu ne voudra plus de nous
nous qui rêvions aux voyages organisés
alors que là-bas on organisait
des voyages de fin du monde
ici il n’y a pas de guerre
les gens mourraient de causes naturelles
et causaient de choses ridicules
je sortais des maisons
comme des abris atomiques
les voisins étaient en scaphandre
nous nous donnions la main
dans les ciels verdâtres
et ne savions pas le nom
des enfants ni la couleur de leurs yeux
tant le verre des scaphandres était épais
il n’y a pas de guerre ici
seulement un peu de haine
il n’y a pas de guerre ici
seulement des gens ridicules
qui rêvaient à la Grande Guerre
et qui rêvaient de ne pas mourir
et qui rêvaient d’aimer un jour
il n’y a jamais eu de guerre ici
juste un peu de haine
Daniel H. Dugas
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