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Aug 24, 2016
admin

Le modèle et la copie (2016)

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Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité – c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas.
Jean Baudrillard

Je croyais que Chirac était du marbre dont on fait les statues.
En réalité il est de la faïence dont on fait les bidets.
Marie-France Garaud

L’hôtel Lord Elgin d’Ottawa a été nommé en l’honneur de James Bruce, le 8e comte d’Elgin, gouverneur général du Canada-Uni de 1847 à 1854. Dans une alcôve du hall d’entrée de l’hôtel, on a placé un buste en son honneur. Comme j’aime toucher à tout, j’ai tapé sur sa tête et j’ai été surpris de constater que l’homme n’était pas fait en marbre, mais en fibre de verre! Je me disais qu’on avait dû mettre l’original en lieu sûr, que ce faux marbre n’était là que pour des questions d’assurances ou de nettoyage. Peu importe la raison, son état révélait un lien de filiation des plus intéressant.

Le père de James s’appelait Thomas Bruce, c’était un aristocrate et un homme militaire qui portait plusieurs titres dont celui de 7e compte d’Elgin. Au début du 19e siècle, il était ambassadeur britannique à Constantinople, la capitale de l’Empire ottoman. La Grèce qu’on disait « ottomane » à l’époque faisait partie de l’empire et l’ambassadeur, qui avait une fascination toute particulière pour la Grèce, parcourait son territoire comme un véritable golden retriever. La pie voleuse plénipotentiaire, grande receleuse, a enlevé de l’Acropole d’Athènes des centaines de statues et les a vendus au British Museum. Parmi son butin, il y avait 12 statues des frontons, 156 plaques de la frise et 13 métopes; la frise du temple d’Athéna Niké et une cariatide de l’Érechthéion! Ces marbres qu’on appelle maintenant les Marbres d’Elgin (comme quoi le crime paie, et ce même si le 7e comte a vendu le matériel à perte) constituent aujourd’hui l’une des pièces maîtresses du musée britannique. La Grèce réclame depuis longtemps le rapatriement des marbres, mais le musée a toujours prétendu être le gardien du patrimoine culturel de l’humanité et n’a jamais accepté de les rendre.

Notre illustre gouverneur général, grand administrateur colonial, avait un pedigree des plus impressionnants, son beau-père n’était nul autre que John George Lambton, 1er comte de Durham, l’auteur du terrifiant Rapport Durham et son père, on l’a vu, était un statuomaniaque international. Notre comte n’est toutefois pas en reste; il a été vice-roi des Indes et a laissé sa marque sur la scène internationale en ordonnant, durant la seconde guerre de l’opium, la destruction du Palais d’été, jardin impérial de Pékin. Quoi qu’il en soit, la statue du fils en fibre de verre qui siège aujourd’hui à l’hôtel semble être la conséquence d’une certaine justice immanente, comme si le fils payait en substance les crimes de son père. Ce qui est plus drôle, c’est qu’en tapant sur le buste, il sonne creux comme pour nous rappeler que l’Histoire n’est pas aussi pleine qu’elle le clame.

Daniel H. Dugas
le 22 août 2016

Notes

Le point de vue du musée britannique :
The Parthenon Sculptures, The British Museum

Le point de vue du gouvernement grecque :
Demands of the Greek government

Pour un exposé favorable des politiques de Lord Elgin, voir : The voice of the people “Lord Elgin” (N.F.B. 1959)

Apr 28, 2015
admin

Text(e) Image Beat – talks (2015)

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On April 28, Valerie LeBlanc and I each gave a talk at the Galerie Sans Nom during the Frye Festival.

 

pdf Text(e) Image Beat talks given through the Galerie Sans Nom and the Frye Festival, (pdf 2mb)

Jun 10, 2014
admin

MPB-X: launch (2014)

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LAUNCH!

MPB-X launched June 9, 2014.

Critical Discourse Surrounding Ideas of Portability in Art and Art Dissemination

The publication features a foreword by editor Diana Sherlock and is followed by essays from Renato Vitic, Michael McCormack, Daniel H. Dugas and Valerie LeBlanc.

The eBook discussions draw from MediaPackBoard (MPB) programming carried out since 2005, in the context of contemporary portable art projects.

Valerie LeBlanc, MediaPackBoard creator, is formulating plans for a 10th year MPB outing. This year’s event, to be announced later this summer, will underline release of the publication.

MPB-X, is available for reading and free downloads:

version 2.0 / June 11 2014

PDF interactive: http://bit.ly/mpb-x-v2-PDF (6 mb)

ePub: http://bit.ly/mpb-x-v2-ePub (5.1 mb)

MOBI: http://bit.ly/mpb-x-v2-MOBI (10.9 mb)

The book can also be read online at: http://mpbx.pressbooks.com

ISBN paper 978-0-9735206-6-8
ISBN PDF 978-0-9735206-7-5
ISBN ePub 978-0-9735206-2-0
ISBN MOBI 978-0-9735206-8-2

mpb-x website

artsnb

This project is supported by the New Brunswick Arts Board
Ce projet est soutenu par le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick

May 2, 2011
admin
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Protected: Faire de la lumière avec des couleurs (2011)

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Jan 13, 1999
admin

Quel est le rôle de l’avant-garde en arts visuels en Acadie? (1999)

Quel est le rôle de l’avant-garde en arts visuels en Acadie?

Lorsqu’on m’a demandé d’écrire sur le rôle de l’avant-garde en Acadie, ma première réaction n’a pas été des plus enthousiastes. Le terme avant-garde est un mot fourre-tout où se retrouve à peu près n’importe quoi. Du salon de coiffure avant-garde à l’avant-garde russe, il y en a pour tous les goûts.

Alors j’ai dû me poser la question de savoir, non pas quel est le rôle de l’avant-garde en Acadie, mais bien si l’avant-garde existait encore et si elle pouvait exister ici. Laissez-moi vous dire ce que j’ai trouvé: “Ils sont le plus souvent pendus, roués de coups, mis aux piloris, ou condamnés à divers supplices.”

C’est ainsi que Voltaire, dans son dictionnaire philosophique, parlait des prophètes. On pourrait en dire presque autant des artistes de l’avant-garde, car les deux font un peu le même métier. Tous les deux sont des tranches-montagnes sans égal.

Ils courent en ligne droite, devancent le Temps, et après avoir gagné quelques mètres d’avance, ils se retournent rapidement et font, à ce Temps inexorable, un pied de nez magistral. Mais voilà, les artistes de l’avant-garde sont le plus souvent ignorés et laissés à eux-mêmes. L’abandon est leur supplice. On a bien dit de Jeff Koon qu’il était the last bit of methane in the intestine of the dead cow of post-modernism [1] , mais en général le désintéressement est presque de rigueur.

L’avant-garde à bout de souffle

Il est impossible de parler de l’avant-garde sans parler du courant dominant – du mainstream – (est-ce à dire que le public est dominé?). Ce courant, qui nous traverse de toutes parts, aime bien l’homogénéité et la rareté d’alternatives. L’avant-garde, elle, se plaît à trouver de nouveaux sentiers, elle explore et quelquefois elle s’égare, et avec elle son public. Elle est souvent difficile à saisir parce qu’elle exige un regard critique. La plupart d’entre nous allons au cinéma ou à la galerie d’art pour nous divertir. L’avant-garde interroge. Pendant que Céline Dion cash in, Yvonne Rainer pose des questions. C’est comme ça…

L’artiste d’avant-garde a été une sorte de prophète des temps modernes. Il fut l’audace même, le précurseur, l’annonciateur qui prépare la venue. Il a souvent été téméraire, arrogant, impertinent, insolent et sans gêne. L’avant-garde a été, au fil de notre siècle, Russe, dada, surréaliste, Léttriste, SI, IMIB, Cobra, Fluxus, néo géo, etc.

Le prophète et l’artiste d’avant-garde, parce qu’il sont en avance sur leur temps, ne peuvent que prétendre jouer le rôle de précurseurs. Ce qu’ils annoncent n’est pas encore là pour leur donner raison. Le Temps est l’outil avec lequel ils fabriquent leur oeuvre et le Temps est devenu un outil de paradoxe. Si le mouvement artistique d’avant-garde s’inscrit dans le XXe siècle, il est au seuil du second millénaire, à bout de souffle et semble manquer de cette pertinence qui fut pendant si longtemps son fer de lance.

Cette perte est attribuable à un fait fondamental : Le Temps s’est dérobé sous ses pieds. L’avant-garde se bute à une élasticité temporelle qui caractérise notre époque. Car comment prédire, comment être le précurseur de n’importe quoi lorsque l’ère dans laquelle nous vivons est un melting pot de toutes les époques?

Dans les revivals des années 50, 60, 70 et bientôt 80, qu’est-ce que le futur sinon des réalités de plus en plus virtuelles, de plus en plus floues et sans attache. La vitesse à laquelle la publicité, par exemple, récupère tout ce qui est nouveau, tout ce qui est audacieux, rend l’audace moins imprudente qu’elle le semblait dans les décennies précédentes.

C’est une époque où les décorateurs de bureaux sont devenus des conservateurs d’art. Avec la chute du mur de Berlin et de l’Union Soviétique, l’avant-garde n’a cessé de glisser sur une peau de banane historique.

Une paralysie de l’audace

Nous vivons maintenant dans une ère où la réussite est tellement importante, ou le besoin d’approbation est tellement fort, qu’il s’est créé une espèce de paralysie de l’audace. Il existe des artistes en début de carrières qui parlent de la peur de commettre des erreurs. C’est aberrant. L’avant-garde est morte il n’existe que de l’art actuel, de l’art d’aujourd’hui.

C’est dans l’art contemporain que les gestes de création extraordinaires existent, ici comme ailleurs, mais comme tout, ils sont de plus en plus guidés par cet esprit d’entreprise, de stratégie et de plan d’affaires. L’art d’avant-garde n’existe plus parce que le Temps est devenu mou et ne peut plus être devancé. Il n’existe que deux choses : l’art contemporain et le folklore. Et ce qui n’est pas actuel est nécessairement nostalgique.

En Acadie les deux coexistent de façon pacifique sans faire de remous, paisiblement. L’un regarde aujourd’hui et l’autre se rappelle d’avoir vu.

L’eau qui stagne est la première à geler

La vraie question donc, est de savoir quel est le rôle de l’art contemporain en Acadie ou si la possibilité de prendre des risques existe encore pour les artistes acadiens. Malgré des limitations évidentes à plusieurs niveaux – le NB et l’I-P-E sont les seules provinces au Canada à ne pas avoir de centre de production vidéo géré par des artistes, quoique la galerie Struts de Sackville vient de créer récemment la structure de leur nouveau Media Centre mais il reste encore beaucoup à faire avant que les artistes puissent y créer – il y a ici des communautés artistiques talentueuses et il existe quelques institutions qui devraient être capables d’infuser aux artistes ce désir de repousser un peu plus loin la frontière du connu et de l’inconnu.

L’art acadien ne fonctionne pas en vase clos, il ne peut que s’insérer dans un discours qui s’articule à l’échelle mondiale. Et pour être effectif, l’art acadien doit défier les conventions, tabasser les traditions et questionner les gestes et les rêves de la société et de l’individu.

[1] Attribué à l’ écrivain et historien d’art d’origine australienne Robert Hughes.

 

*

L’auteur est artiste pluridisciplinaire et enseignant à l’Université de Moncton.
Publié: publié dans le Ven’d’est, numéro 82, janvier 1999, pp 29 – 31

Feb 6, 1997
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Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île (1994)

Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île.

Après un séjour de deux ans aux États-Unis l’auteur effectue un retour au Canada et le paysage politique qu’il retrouve est peuplé par les Ralph Klein et les Preston Manning. L’auteur se demande si les changements et l’assainissement des finances publiques finiront par assainir la société en général. « Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île » a été écrit en 1994 et, depuis, la pièce Ubu roi d’Alfred Jarry a célébré son centenaire.

 

Calgary, le quartier général du Parti Réformiste. Il est 6 heures du soir. Le temps est doux. Je vais marcher le long de la rivière Bow. Les pistes cyclables sont envahies par M. et Mme Performance. Ils sont jeunes, aérodynamiques, enveloppés dans du Spandex et du Velcro fluorescent. Ils courent, ils patinent, ils skient, ils pédalent, ils ont des casques, des genouillères, des gants et des montres approuvées et certifiées pour aller au fond des océans.  Toute cette activité me rappelle un livre de bandes dessinées de mon adolescence.  Sur la couverture il y a une île grouillante de crabes rouges. Il y a aussi un complexe sportif ultramoderne, vibrant avec une multitude de coureurs et de gymnastes. L’histoire est simple et familière. Un savant devient fou. Il se réfugie sur une île à l’écart du monde et là, dans la solitude, développe l’athlète de l’an 2000. Malheureusement ce développement a la tendance de rendre le cerveau de ces hommes et de ces femmes aussi mou et léger qu’un soufflé. Un de ces cobayes réalise le danger de l’expérience et avec sa compagne, l’héroïne, organise une résistance secrète. L’histoire se termine comme vous l’avez deviné. Le savant, après une lutte intense avec le héros, meurt sur la plage, dévoré par les crabes. Le héros et l’héroïne s’embrassent en regardant le soleil se coucher.

Il est 18 h 30. Le temps est encore doux. Nous nous esquivons les uns les autres avec succès. La piste cyclable longe la rivière et la Memorial Drive. Je bifurque à la gauche et emprunte l’escalier qui permet d’accéder au somment de la falaise. Le rythme est plus lent. C’est une montée ardue. L’escalier est muni de plates-formes où les usagers peuvent s’arrêter et souffler un peu ou tout simplement admirer la vue. À chaque niveau, il est intéressant de se retourner vers la piste cyclable et de voir combien la course est serrée. On se donne du coude, on fait sonner les clochettes des vélos, on siffle, on cri « À DROITE », « À GAUCHE ». Ces derniers avertissements visent les piétons, ces larves rampantes qui persistent à ralentir le flux incessant. Je grimpe plus haut et plus je grimpe, plus il fait calme. À la dernière marche sur Crecent Drive c’est le silence total. La vue est imprenable. La ville est à mes pieds, belle, facile et silencieuse. Le ciel est immense et beau comme seul un ciel de l’Ouest peut l’être. Il y a du mauve dans les nuages, du rose, du bleu, du blanc et les rocheuses sont assises à l’arrière-plan comme dans une peinture romantique.

Tout à coup voici un quartier cossu avec de jolis parcs et de petits chiens de race qui jappent quand les Jeep Cherokee ou les BMW passent. On joue au footbag et au Frisbee. Il est presque 7 heures. Cresent Drive longe la falaise qui entoure la ville, cette ville qui est le centre nerveux du Parti Réformiste et qui est aussi l’ancienne mairie de Ralph Klein. D’où je suis la ville ressemble non pas à un regroupement organique comme il se devrait, mais plutôt à une maquette, adaptable, réglable à volonté. C’est cette idée de société comme maquette, comme modèle réduit de décor de théâtre, qui m’a rappelé l’histoire du savant fou, de ses surhommes et de ces crabes rouges. Dans ma promenade tranquille, je commence à comprendre la solidité qu’on doit attribuer ici aux falaises qui surplombent la ville. Je comprends aussi la sécurité et l’insouciance peut-être, qu’il existe à spéculer sur le nouveau prototype de société qu’on est en train de créer. L’avènement du monde privé (privé comme dans privatiser) quand on a payé son hypothèque et d’autres possessions matérielles peut sans doute être envisagé sous un angle optimiste. Mais voilà, quel est ce monde privé et de quoi est-il fait ?

Calgary doit être la Biosphère numéro 3, après la planète Terre numéro 1, et après la Biosphère numéro 2 du Texas. Dans la nôtre, qui ressemble de plus en plus à celle de l’île aux crabes rouges, nous apprenons tous les jours à nous serrer la ceinture, comme on nous dit, à faire plus avec moins. Nous comprenons maintenant l’importance de toutes ces modes de conditionnement physique. Nous comprenons qu’un corps sain produira beaucoup et beaucoup plus longtemps. C’est une belle coïncidence avec la dégradation éventuelle du système de santé. Simultanément nous saisissons que notre monde nous glisse entre les doigts.

Il est 7 h 15 et le soleil descend tranquillement. Les ombres de la falaise ont déjà envahi ceux qui vivent dans le creux de l’escarpement et ce n’est pas compter ceux qui habitent dans les caves. Quant à moi je marche encore dans la lumière, dans ce quartier romantique, sur la route des réformistes.

Me voici à Calgary dans une société jeune, dynamique, agressive, gagnante et performante. Je ne peux m’empêcher de me demander si cette société sera aussi malléable que les fesses des coureurs dans leurs culottes de Spandex. Fera-t-on d’elle une chose qui pourra être contenue ? Est-ce que le gouvernement de l’Alberta conduit ses affaires comme une entreprise, comme on l’entend souvent, ou comme une compagnie de théâtre vaudeville ? Je dirais comme la seconde et j’ajouterai que la pièce qu’on présente tous les soirs est Ubu Roi d’Alfred Jarry. La mise en scène et le rôle principal sont tenus, naturellement, par l’honorable M. Ralph Klein. On a dit de cette pièce qu’elle était la synthèse absolue de tout drame historique. Voilà certainement quelque chose à quoi les Albertains peuvent s’identifier. Et qui plus est, cette pièce fut écrite par des adolescents de 15 ans, dont Jarry. Jeunes contrevenants du passé ? Dans moins de deux ans, le 10 décembre 1996, pour être plus exact, nous pourrons fêter le 100e anniversaire de la première représentation de la pièce.

Ubu Roi c’est l’histoire d’Ubu qui, poussé par l’ambition, tue le roi de Pologne et s’empare du trône. Il gouverne en dépit du bon sens. Il extermine les nobles, les magistrats et les financiers dans le seul but d’accroître ses richesses. Il se charge lui-même de collecter les impôts. Ubu le roi est finalement défait par le Czar et s’enfuit avec sa femme pour l’Espagne ou la France.

Il y a un lien je pense entre le savant de l’île aux crabes rouges, Ubu Roi et Ralph Klein. Claude Roy dans Description critiques, le commerce des classiques paru chez Gallimard en 1951 :

“Mais ce qui nous touche, en Ubu, c’est son inépuisable actualité, c’est-à-dire sa ressource active. De Hitler à MacArthur, le roi Ubu n’a pas fini encore, hélas, d’être prophétiquement ressemblant, d’être le prototype vengeur de toutes les citrouilles armées qui nous poussent ubuesquement à l’abattoir, après nous avoir décervelés… “

Voilà, il est 8 h 20. La marche s’étire. C’est maintenant le chemin du retour. Un homme est à genoux sur son gazon. Il plante des fleurs et nous nous souhaitons une bonne soirée. Les feuilles seront bientôt sur les arbres. Je vois en bas de la falaise ce que j’appelle « Candy Town ». Un nouveau développement qui inclut un YMCA, un cinéma IMAX, un marché alimentaire, un « authentique » café des années 1880 et un jongleur. Les couleurs sont criardes, l’architecture laisse à désirer comme souvent l’est l’architecture post-moderne et le jongleur semble triste. Je vois bien quelques personnes là-bas, mais elles sont si petites d’ici. On dirait un tableau de Chirico. Une ville où la bombe neutron fut utilisée. Exit à la vie sans endommager cette sacro-sainte propriété privée. Petit monde où les places publiques sont privées.

Je retourne chez moi en pensant au Père Ubu maintenant. J’accepte que le Roi Ralph soit beaucoup Ubu. Physiquement ils ont beaucoup en commun. La corpulence des représentations originales qu’Alfred Jarry nous a données du Père Ubu ressemble étrangement au Roi de l’Alberta. Moralement ils semblent compatibles. La dernière secousse ici, le dernier drame de ce qui n’est encore que le premier acte de cette pièce est sans contredit l’arrogant défi qu’il a lancé aux juges de la cour provinciale. À savoir qu’ils sont des employés provinciaux et à ce titre doivent suivre les directives du cabinet. Klein note qu’il n’est question que de réductions de salaire. Les juges et les criminels sont d’accord pour ensemble s’inquiéter. Notre bon roi n’en veut démordre. Ses conseillers, dans ce qui apparaît comme une vaine tentative, lui ont suggéré de nuancer ses propos. Une crise constitutionnelle gronde à l’horizon, l’indépendance judiciaire est en jeu, lit-on dans les journaux. J’entends résonner ici la voix du Père Ubu :

PÈRE UBU
Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.

PLUSIEURS MAGISTRATS
Nous nous opposons à tout changement.

PÈRE UBU
Merdre. D’abord les magistrats ne seront plus payés.

Que cette crise se règle c’est à n’en pas douter. Dans quelques jours, quelques semaines. Ce qui est inquiétant c’est d’avoir comme roi quelqu’un qui n’hésite pas à s’attaquer aux fondations mêmes d’une société. L’Alberta vogue peut-être vers une cote de crédit triple A, mais est-ce que le prix à payer sera d’accepter froidement l’existence humaine comme étant une ressource naturelle au même titre que la forêt ou le gaz.

Nous ne savons pas encore qui est le Czar dans notre histoire. Ce que nous savons toutefois c’est que le Roi Ralph ne s’enfuira pas en Espagne et surtout pas en France.

Il est 21 h et je descends des hauteurs, par un autre escalier. Je m’enveloppe dans la nuit qui vient, dans le merveilleux royaume de l’Alberta.

 

 

 

Daniel Dugas
Calgary, printemps 1994

Texte publié dans le magazine Satellite, #1 février 1997 p. 18-19

 

Daniel H. Dugas

Artiste numérique, poète et musicien, Daniel H. Dugas a participé à des expositions individuelles et de groupe ainsi qu’à plusieurs festivals et événements de poésie en Amérique du Nord, en Europe, au Mexique et en Australie. Son treizième recueil de poésie « émoji, etc. » / « emoji, etc. » vient de paraître aux Éditions Basic Bruegel.

Daniel H. Dugas is a poet, musician, and videographer. He has participated in solo and group exhibitions as well as festivals and literary events in North America, Europe, Mexico, and Australia. His thirteenth book of poetry, 'émoji, etc.' / 'emoji, etc.' has been published by the Éditions Basic Bruegel Editions.

Date : Mars / March 2022
Genre : Poésie / Poetry
Français / English

émoji, etc. / emoji, etc.

Date: Mai / May 2022
Genre: Vidéopoésie/Videopoetry
Français/English

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