What We Take With Us – TNG (2012)
We just came back from Calgary where our video installation What We Take With Us is being presented at The New Gallery. The opening was on January 5th and the exhibition will continue until February 4th 2012. We stayed at the John Snow House which is administrated by TNG. It is an extraordinary place loaded with history.
Thanks to everyone at TNG: Tim, Jessica, Noel, Kathryn, Su, Volunteers – and all who came out to the opening! Our talks will be posted online next week.
Our installation is also part of This Is My City Festival, an interdisciplinary festival of art from the margins.
Excerpt from the essay written by Tomas Jonsson:
Recurrent waves of colonialism and globalization have smoothed and prescribed our encounters with places. For the traveler, points of difference, or of distinction, are sought after, perhaps increasingly so, or patronizingly handed over. Monuments, historical sites and natural landmarks are increasingly oriented to ‘the amused eye’, which the traveler can then compare and develop a discourse “for the comparative connoisseurship of places.”
In What We Take With Us, Dugas and LeBlanc explore a complicated, contingent terrain, whose borders extend into and circumvent geographies, both physical and social, ‘here’ and ‘away’. Encompassing individual catalysts, personal experiences, mental and body memories, the resulting landscape can’t be easily anticipated or defined.
The videos mimic the internal ordering and filtering of places. Each series of vignettes display a personal vision, reflecting the difference in interpretation even by two people so closely aligned. They follow in Dugas and LeBlanc’s collaborative approach in their production and presentation, but in this case the associations are left to chance due to an unsynched running time. The result is a constantly shifting dialogue between the videos, with unknown permutations and combinations.
Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île (1994)
Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île.
Après un séjour de deux ans aux États-Unis l’auteur effectue un retour au Canada et le paysage politique qu’il retrouve est peuplé par les Ralph Klein et les Preston Manning. L’auteur se demande si les changements et l’assainissement des finances publiques finiront par assainir la société en général. « Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île » a été écrit en 1994 et, depuis, la pièce Ubu roi d’Alfred Jarry a célébré son centenaire.
Calgary, le quartier général du Parti Réformiste. Il est 6 heures du soir. Le temps est doux. Je vais marcher le long de la rivière Bow. Les pistes cyclables sont envahies par M. et Mme Performance. Ils sont jeunes, aérodynamiques, enveloppés dans du Spandex et du Velcro fluorescent. Ils courent, ils patinent, ils skient, ils pédalent, ils ont des casques, des genouillères, des gants et des montres approuvées et certifiées pour aller au fond des océans. Toute cette activité me rappelle un livre de bandes dessinées de mon adolescence. Sur la couverture il y a une île grouillante de crabes rouges. Il y a aussi un complexe sportif ultramoderne, vibrant avec une multitude de coureurs et de gymnastes. L’histoire est simple et familière. Un savant devient fou. Il se réfugie sur une île à l’écart du monde et là, dans la solitude, développe l’athlète de l’an 2000. Malheureusement ce développement a la tendance de rendre le cerveau de ces hommes et de ces femmes aussi mou et léger qu’un soufflé. Un de ces cobayes réalise le danger de l’expérience et avec sa compagne, l’héroïne, organise une résistance secrète. L’histoire se termine comme vous l’avez deviné. Le savant, après une lutte intense avec le héros, meurt sur la plage, dévoré par les crabes. Le héros et l’héroïne s’embrassent en regardant le soleil se coucher.
Il est 18 h 30. Le temps est encore doux. Nous nous esquivons les uns les autres avec succès. La piste cyclable longe la rivière et la Memorial Drive. Je bifurque à la gauche et emprunte l’escalier qui permet d’accéder au somment de la falaise. Le rythme est plus lent. C’est une montée ardue. L’escalier est muni de plates-formes où les usagers peuvent s’arrêter et souffler un peu ou tout simplement admirer la vue. À chaque niveau, il est intéressant de se retourner vers la piste cyclable et de voir combien la course est serrée. On se donne du coude, on fait sonner les clochettes des vélos, on siffle, on cri « À DROITE », « À GAUCHE ». Ces derniers avertissements visent les piétons, ces larves rampantes qui persistent à ralentir le flux incessant. Je grimpe plus haut et plus je grimpe, plus il fait calme. À la dernière marche sur Crecent Drive c’est le silence total. La vue est imprenable. La ville est à mes pieds, belle, facile et silencieuse. Le ciel est immense et beau comme seul un ciel de l’Ouest peut l’être. Il y a du mauve dans les nuages, du rose, du bleu, du blanc et les rocheuses sont assises à l’arrière-plan comme dans une peinture romantique.
Tout à coup voici un quartier cossu avec de jolis parcs et de petits chiens de race qui jappent quand les Jeep Cherokee ou les BMW passent. On joue au footbag et au Frisbee. Il est presque 7 heures. Cresent Drive longe la falaise qui entoure la ville, cette ville qui est le centre nerveux du Parti Réformiste et qui est aussi l’ancienne mairie de Ralph Klein. D’où je suis la ville ressemble non pas à un regroupement organique comme il se devrait, mais plutôt à une maquette, adaptable, réglable à volonté. C’est cette idée de société comme maquette, comme modèle réduit de décor de théâtre, qui m’a rappelé l’histoire du savant fou, de ses surhommes et de ces crabes rouges. Dans ma promenade tranquille, je commence à comprendre la solidité qu’on doit attribuer ici aux falaises qui surplombent la ville. Je comprends aussi la sécurité et l’insouciance peut-être, qu’il existe à spéculer sur le nouveau prototype de société qu’on est en train de créer. L’avènement du monde privé (privé comme dans privatiser) quand on a payé son hypothèque et d’autres possessions matérielles peut sans doute être envisagé sous un angle optimiste. Mais voilà, quel est ce monde privé et de quoi est-il fait ?
Calgary doit être la Biosphère numéro 3, après la planète Terre numéro 1, et après la Biosphère numéro 2 du Texas. Dans la nôtre, qui ressemble de plus en plus à celle de l’île aux crabes rouges, nous apprenons tous les jours à nous serrer la ceinture, comme on nous dit, à faire plus avec moins. Nous comprenons maintenant l’importance de toutes ces modes de conditionnement physique. Nous comprenons qu’un corps sain produira beaucoup et beaucoup plus longtemps. C’est une belle coïncidence avec la dégradation éventuelle du système de santé. Simultanément nous saisissons que notre monde nous glisse entre les doigts.
Il est 7 h 15 et le soleil descend tranquillement. Les ombres de la falaise ont déjà envahi ceux qui vivent dans le creux de l’escarpement et ce n’est pas compter ceux qui habitent dans les caves. Quant à moi je marche encore dans la lumière, dans ce quartier romantique, sur la route des réformistes.
Me voici à Calgary dans une société jeune, dynamique, agressive, gagnante et performante. Je ne peux m’empêcher de me demander si cette société sera aussi malléable que les fesses des coureurs dans leurs culottes de Spandex. Fera-t-on d’elle une chose qui pourra être contenue ? Est-ce que le gouvernement de l’Alberta conduit ses affaires comme une entreprise, comme on l’entend souvent, ou comme une compagnie de théâtre vaudeville ? Je dirais comme la seconde et j’ajouterai que la pièce qu’on présente tous les soirs est Ubu Roi d’Alfred Jarry. La mise en scène et le rôle principal sont tenus, naturellement, par l’honorable M. Ralph Klein. On a dit de cette pièce qu’elle était la synthèse absolue de tout drame historique. Voilà certainement quelque chose à quoi les Albertains peuvent s’identifier. Et qui plus est, cette pièce fut écrite par des adolescents de 15 ans, dont Jarry. Jeunes contrevenants du passé ? Dans moins de deux ans, le 10 décembre 1996, pour être plus exact, nous pourrons fêter le 100e anniversaire de la première représentation de la pièce.
Ubu Roi c’est l’histoire d’Ubu qui, poussé par l’ambition, tue le roi de Pologne et s’empare du trône. Il gouverne en dépit du bon sens. Il extermine les nobles, les magistrats et les financiers dans le seul but d’accroître ses richesses. Il se charge lui-même de collecter les impôts. Ubu le roi est finalement défait par le Czar et s’enfuit avec sa femme pour l’Espagne ou la France.
Il y a un lien je pense entre le savant de l’île aux crabes rouges, Ubu Roi et Ralph Klein. Claude Roy dans Description critiques, le commerce des classiques paru chez Gallimard en 1951 :
“Mais ce qui nous touche, en Ubu, c’est son inépuisable actualité, c’est-à-dire sa ressource active. De Hitler à MacArthur, le roi Ubu n’a pas fini encore, hélas, d’être prophétiquement ressemblant, d’être le prototype vengeur de toutes les citrouilles armées qui nous poussent ubuesquement à l’abattoir, après nous avoir décervelés… “
Voilà, il est 8 h 20. La marche s’étire. C’est maintenant le chemin du retour. Un homme est à genoux sur son gazon. Il plante des fleurs et nous nous souhaitons une bonne soirée. Les feuilles seront bientôt sur les arbres. Je vois en bas de la falaise ce que j’appelle « Candy Town ». Un nouveau développement qui inclut un YMCA, un cinéma IMAX, un marché alimentaire, un « authentique » café des années 1880 et un jongleur. Les couleurs sont criardes, l’architecture laisse à désirer comme souvent l’est l’architecture post-moderne et le jongleur semble triste. Je vois bien quelques personnes là-bas, mais elles sont si petites d’ici. On dirait un tableau de Chirico. Une ville où la bombe neutron fut utilisée. Exit à la vie sans endommager cette sacro-sainte propriété privée. Petit monde où les places publiques sont privées.
Je retourne chez moi en pensant au Père Ubu maintenant. J’accepte que le Roi Ralph soit beaucoup Ubu. Physiquement ils ont beaucoup en commun. La corpulence des représentations originales qu’Alfred Jarry nous a données du Père Ubu ressemble étrangement au Roi de l’Alberta. Moralement ils semblent compatibles. La dernière secousse ici, le dernier drame de ce qui n’est encore que le premier acte de cette pièce est sans contredit l’arrogant défi qu’il a lancé aux juges de la cour provinciale. À savoir qu’ils sont des employés provinciaux et à ce titre doivent suivre les directives du cabinet. Klein note qu’il n’est question que de réductions de salaire. Les juges et les criminels sont d’accord pour ensemble s’inquiéter. Notre bon roi n’en veut démordre. Ses conseillers, dans ce qui apparaît comme une vaine tentative, lui ont suggéré de nuancer ses propos. Une crise constitutionnelle gronde à l’horizon, l’indépendance judiciaire est en jeu, lit-on dans les journaux. J’entends résonner ici la voix du Père Ubu :
PÈRE UBU
Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.
PLUSIEURS MAGISTRATS
Nous nous opposons à tout changement.
PÈRE UBU
Merdre. D’abord les magistrats ne seront plus payés.
Que cette crise se règle c’est à n’en pas douter. Dans quelques jours, quelques semaines. Ce qui est inquiétant c’est d’avoir comme roi quelqu’un qui n’hésite pas à s’attaquer aux fondations mêmes d’une société. L’Alberta vogue peut-être vers une cote de crédit triple A, mais est-ce que le prix à payer sera d’accepter froidement l’existence humaine comme étant une ressource naturelle au même titre que la forêt ou le gaz.
Nous ne savons pas encore qui est le Czar dans notre histoire. Ce que nous savons toutefois c’est que le Roi Ralph ne s’enfuira pas en Espagne et surtout pas en France.
Il est 21 h et je descends des hauteurs, par un autre escalier. Je m’enveloppe dans la nuit qui vient, dans le merveilleux royaume de l’Alberta.
Daniel Dugas
Calgary, printemps 1994
Texte publié dans le magazine Satellite, #1 février 1997 p. 18-19
Daniel H. Dugas
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