Une Chance (2012)
Ce texte a été écrit dans le cadre des consultations publiques du Renouvellement de la politique culturelle 2012 au Nouveau-Brunswick.
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Un artiste ne peut attendre aucune aide de ses pairs.
Jean Cocteau
Les artistes sont les juges compétents de l’art, il est vrai, mais ces juges compétents sont presque toujours corrompus. Un excellent critique serait un artiste qui aurait beaucoup de science et de goût, sans préjugés et sans envie. Cela est difficile à trouver.
Voltaire
Si ces deux citations évoquent un certain malaise, la situation actuelle de l’artiste et de l’art pourrait être beaucoup plus sérieuse qu’on ne le pense. Les arts, quoiqu’on en dise, ne sont pas nécessaires à la survie de l’humanité. Ils sont peut-être indispensables à la survie de certains individus, j’en conviens et j’en suis un pour qui l’importance de l’art est essentielle, mais l’humanité est très peuplée. On se rappellera que les arts et la créativité se trouvent au sommet de la fameuse pyramide des besoins d’Abraham Maslow [1], si le sommet est une position enviable, la vue y est très belle, c’est malheureusement la représentation du besoin le moins pressant à combler. L’art semble être au-dessus, mais se trouve derrière les besoins d’appartenance, les besoins de sécurité du corps et de l’emploi, derrière les besoins physiologiques; manger, boire, dormir, respirer. Cette affirmation peut sembler cruelle, surtout pour les artistes qui persistent à créer contre vents et marées, mais elle reflète une cruelle vérité.
La beauté de la chose et la difficulté de la chose, c’est que les artistes feront ce qu’ils ou elles pensent devoir faire. On parle de vocations, de penchant impérieux qu’un individu ressent pour une profession. Quoi qu’on en dise, un artiste n’est pas comme un agent d’assurances, un analyste financier, un anthropologue, un anesthésiste réanimateur, un archéologue, un avocat, un cardiologue, un charcutier, un chef cuisinier, un concierge, un conseiller en toxicomanie, un démographe, un dentiste, un dynamiteur, un directeur du marketing, un économiste, un électricien, un facteur, un géologue, un historien de l’art, un infirmier, un ingénieur minier, un journaliste, un linguiste, un mathématicien, un négociateur en bourse, un pharmacien, un sapeur, un technicien en construction aéronautique, un téléphoniste, un traducteur ou un zoologiste. L’artiste est le seul qui soit prêt à faire son devoir sans rémunération. Personne d’autre n’est prêt à commettre une telle bêtise, aucune autre profession n’offre ça.
Il n’y a pas si longtemps un artiste qui exposait son travail dans une galerie s’attendait à recevoir un cachet CARFAC pour sa participation [2]. Ce temps est révolu, et ce même s’il y a une campagne publicitaire qui circule sur la toile et qui trompette : Je suis un artiste, ça ne veut pas dire que je travaille gratuitement. La fanfare perd un peu d’ardeur lorsqu’on réalise qu’en octobre 2011 la campagne de réélection de Barack Obama lançait un appel d’offres invitant des graphistes à faire don de leurs dessins pour une affiche [3]. Il y a de plus en plus d’artistes qui sortent des écoles d’art, toujours plus nombreuses, de plus en plus de demandes de bourses, d’expositions, de plus en plus d’effervescence. Ce bouillonnement d’activités coïncide avec l’émergence d’une nouvelle sensibilité de partage; on n’a qu’à penser aux conditions de réutilisation ou de distribution d’œuvres, établies par Creative Commons [4] ou encore le phénomène de l’externalisation ouverte (crowdsourcing) [5] . Dans le fond tout ça c’est excellent, le problème c’est que les administrations ne vont pas toujours au même rythme que les administrés. Comment rationaliser, comprendre d’une manière cohérente et logique la dynamique de développement d’un centre d’artiste autogéré qui reçoit plus de 200 demandes par année alors qu’il n’offre que 3 expositions ! Quelles sont les possibilités qui s’offrent aux artistes émergents ou encore à ceux et celles qui réémergent ? Nous vivons dans une société de concurrence et les arts font face à la même musique, à la même folie. La réalité, c’est qu’un artiste est maintenant heureux, bienheureux de participer à un événement, de faire partie d’une exposition, et ce même s’il n’y a pas de cachet, car on le sait maintenant, l’invisibilité tue.
Que peut-on faire devant une telle réalité ? Investir plus d’argent dans les arts ? Sûrement, c’est une solution, mais là n’est l’objet de mon intervention. Ce que j’aimerais suggérer ici, ce n’est pas une augmentation des budgets, c’est l’introduction d’un élément de flexibilité, de spontanéité dans le lourd appareil bureaucratique de l’administration des arts. Pour ceux et celles qui ont participé à un jury ou pour les agents des Conseils des Arts, il est évident que ce n’est pas toutes les bonnes demandes qui reçoivent des bourses. Il est toujours malheureux, en fait déchirant, de voir des projets de très grandes qualités tomber dans l’oubli et la négation. La solution que je propose est la suivante : que les Conseils des Arts réservent un pourcentage du budget total d’un jury, d’une compétition ou d’un programme, disons par exemple de 5 % d’un budget de 140,000 $ (7,000 $) et qu’ils procèdent à un tirage au sort avec les demandes qui se sont distinguées, mais qui n’auraient pas reçu de bourse. Cette façon de procéder ne réglerait pas tous les problèmes qui existent, mais donnerait la chance à quelqu’un qui n’en aurait pas eu. Cette chance me semble être quelque chose d’essentiel. Cocteau et Voltaire l’ont bien remarqué. Si les artistes ne peuvent pas toujours compter sur leurs pairs pour les aider, le hasard pourrait s’en charger.
Daniel Dugas
Moncton, 26 septembre 2012
Daniel Dugas porte plusieurs chapeaux, une calotte de poète, un bonnet de vidéaste, une casquette de musicien et un feutre de graphiste. Son travail est visible à www.daniel.basicbruegel.com
[1] Site officiel de Abraham Maslow: http://www.maslow.com/
Wikipédia Abraham Maslow: http://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Maslow
[2] CARFAC: http://www.carfac.ca/
[3] Rolling Stone Magazine, TIM DICKINSON, Obama Solicits Designers to Work – Unpaid – on … Jobs Poster! http://www.rollingstone.com/politics/blogs/national-affairs/obama-solicits-designers-to-work-unpaid-on-jobs-poster-20111019
Voir, Art Works a poster contest to support American Jobs : https://my.barackobama.com/page/s/artworks-submission
Voir, Design for Obama: http://designforobama.org
[4] Creative Commons: http://creativecommons.org/
[5] Externalisation ouverte : Pratique qui consiste pour une organisation à externaliser une activité, par l’entremise d’un site Web, en faisant appel à la créativité, à l’intelligence et au savoir-faire de la communauté des internautes, pour créer du contenu, développer une idée, résoudre un problème ou réaliser un projet innovant, et ce, à moindre coût. Office québécois de la langue française, 2010
Easy Not Easy (2003)
• Prairie Tales 6th Annual Tour of Alberta Film & Video, touring, 2004
• Faculty show, ACAD, Calgary, AB, 2003
For some it is facile and for others it is difficult. Easy not easy is a tape about Institutions of Power, Economic Systems and how the two direct and permeate society and culture.
Daniel H. Dugas
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