Rhétorique de l’image, Roland Barthes
Compte rendu
Rhétorique de l’image, Roland Barthes
Communications, 1964, Volume 4, Issue 4, pp. 40-51
Mots clés : Barthes, image, photographie, Manovich, Marketing, Panzani, publicité, sémiotique
Rhétorique de l’image
Roland Barthe (1915-1980) est un sémiologue et un écrivain français. Il est l’une des grandes figures du mouvement des structuralismes, un courant issu de la linguistique qui envisage la réalité comme un ensemble formel de relations. On lui doit de nombreux ouvrages dont Le degré Zéro de l’écriture (1953), Mythologie (1957), S/Z (1970) ainsi que La Chambre claire : Note sur la photographie (1980). Le texte Rhétorique de l’image a été publié dans la revue Communication en 1964, poursuivant ainsi l’exploration entamée dans Le message photographique (1961) dans lequel l’auteur développait l’idée de la photographie comme un message sans code. [1]
Concepts
D’après Jean-Marie Klinkerberg, la figure rhétorique serait : « […] un dispositif consistant à produire des sens implicites, de telle manière que l’énoncé où on le trouve soit polyphonique. »[2] Ce texte de Roland Barthes est donc une analyse des signes et des sens créés par l’image.
La communication entre les hommes se fait de deux façons : elle peut s’exprimer dans un mode digital, fait de signes et de paroles ou dans un mode analogique, fait de gestes et de postures. On caractérise le premier d’explicite (il est clairement formulé), alors que le deuxième est implicite (son interprétation est sous-entendue). Le message linguistique fait partie du code digital alors que l’image se situe dans le code analogique.
La question posée par Barthes est de savoir si l’image, qui est une représentation analogique de la réalité, peut aussi être un code. Est-ce qu’il existe un système de signes dans l’image ? Questionnement ontologique donc sur l’existence du sens dans l’image : « Comment le sens vient-il à l’image ? Où le sens finit-t-il ? et s’il finit, qu’y a-t-il au-delà ? » Pour répondre à ces questions, l’auteur se propose de faire une « analyse spectrale » des messages contenus dans l’image publicitaire. Une publicité de Panzani, le fabricant de pâte alimentaire le plus connu en France, a été retenue, car ce type d’image s’articule autour d’intentions claires :
[…] en publicité, la signification de l’image est assurément intentionnelle […] l’image publicitaire est franche, ou du moins empathique.
L’image Panzani est tout d’abord perçue par le lecteur qui y voit une multitude de signes. Rappelons que pour le philosophe et sémiologue américain Charles Pierce (1839-1914), le signe est : « Quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre. » Le signe que nous percevons est le signifiant alors que sa représentation mentale, le sens qu’on en déduit, est le signifié. Par exemple, les pâtes, le poivron, la tomate et le champignon, dénotés dans l’image Panzani, sont des signifiants et le concept « d’italianité » le signifié. Cette opération de transformation, d’un signe à un symbole, est influencée par le bagage culturel du lecteur. C’est ce savoir qui permet le transfert des couleurs dominantes de l’affiche : le vert, le blanc et le rouge, les couleurs du drapeau italien.
Les trois messages
La publicité Panzani est composée de trois messages : le premier est un message linguistique, le second est un message iconique codé et le troisième est un message iconique non codé.
Le message linguistique est facile à discerner : ce sont les légendes, les étiquettes, etc. Ce message peut avoir une fonction soit d’ancrage, soit de relais. Il fait partie du code de la langue française et vient clarifier la lecture en dirigeant les lecteurs « entre les signifiés de l’image »:
[…] le message linguistique guide non plus l’identification, mais l’interprétation, il constitue une sorte d’étau qui empêche les sens connotés de proliférer soit vers des régions trop individuelles […] soir vers des valeurs dysphoriques […]
Le message iconique codé et le message iconique non codé sont un peu plus difficiles à distinguer, car : « le spectateur reçoit en même temps le message perceptif et le message culturel », c’est-à-dire qu’il perçoit simultanément le message littéral sans code et le message symbolique connoté.
Le message iconique non codé traite de la dénotation de l’image qui se présente devant nous comme une combinaison de signes discontinus : la composition, les couleurs, un filet ouvert qui laisse déborder ses aliments, un poivron, des tomates, un champignon, etc. L’ensemble de ces signes dénote « une fraîcheur des produits », sauf peut-être le champignon qui a une apparence plutôt ratatinée, et fait allusion à quelque chose qui n’est pas exprimé concrètement et qui semble redondant : « ce qui spécifie ce troisième message, c’est en effet que le rapport du signifié et du signifiant est quasi-tautologique. » Ce dernier, le message iconique codé, traite de la signification connotative de l’image, de « l’italianité » des produits (signifié). En effet, il n’y a pas de message linguistique qui vient souligner la qualité italienne de la scène. Ce second sens est provoqué par la simple présence objective des signes non codés.
Le rapport entre les deux messages iconiques est extrêmement important, car d’après Barthes, le message dénoté de la photographie serait le seul à « [posséder] le pouvoir de transmettre l’information (littérale) sans la former à l’aide de signes discontinus et de règles de transformation ». C’est dans cette absence de code que s’articulerait un nouveau code, un nouveau sens. En fait, c’est grâce à la dénotation que le message symbolique peut exister :
[…] des 2 messages iconiques, le premier est en quelque sorte imprimé sur le second : le message littéral apparaît comme le support du message symbolique.
Pour Roland Barthes cet état de fait constitue non seulement « une véritable révolution anthropologique », mais établirait également une « nouvelle catégorie de l’espace-temps ».
Commentaire
Le texte Rhétorique de l’image célébrera en 2014 son 50e anniversaire de publication. Si l’article a marqué son époque, il faut dire que les rapports de l’art et de la technique ont beaucoup évolué depuis les années 60. La photographie nous a permis de voir ce qui était invisible à l’oeil nu et a transformé notre perception de façon radicale (on n’a qu’à penser aux photographies d‘Eadweard Muybridge ou d’Harold Edgerton pour le réaliser). Nicolas Bourriaud, parle de la l’invention de photographie et note la modification des modes de représentation qu’elle a engendrée :
Certaines choses s’avèrent désormais inutiles, mais d’autres deviennent enfin possibles : dans le cas de la photographie, c’est la fonction de représentation réaliste qui se révèle progressivement caduque, tandis que des angles de visions nouveaux se voient légitimés (les cadrages de Degas) et que le mode de fonctionnement de l’appareil photo – la restitution du réel par l’impact lumineux – fonde la pratique picturale des impressionnistes.[3]
Il faudrait également rappeler que ce texte a été écrit quelques années seulement avant l’invention des capteurs photographiques CCD qui sont à la base de la révolution numérique.[4] L’image numérique est une image binaire : un code fait de 0 et de 1. Il y a donc un code, même sous le message iconique non codé. D’après Lev Monovich le principe de transcodage culturel, un mélange de la culture humaine et l’organisation structurelle des ordinateurs, serait la conséquence la plus importante de la numérisation.[5] Cette nouvelle modalité de l’image nous forcerait non seulement à redéfinir le type de structure iconique, mais aussi à préciser le rapport que nous entretenons avec la réalité.
Daniel Dugas, 20 mars 2013
PDF (177kb)
[1] Les numéros de la revue Communications publiés de 1961 à 2009 (n° 1 à 85) sont en ligne et en accès libre sur le portail des revues scientifiques Persée, [en ligne],
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/revue/com, (page consultée le 17 mars 2013).
[2] Jean-Marie Klinkenberg, Précis de sémiotique générale, Seuil, Paris, 2000, p. 343.
[3] Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, Paris, 1998, p-67-73.
[4] Le CCD a été inventé en 1969 (en anglais : Charge-Coupled Device), c’est un capteur photosensible convertissant la lumière en valeur numérique directement exploitable par l’ordinateur, qui, dans un appareil photo numérique, capture l’image point par point. Office québécois de la langue française, 1997, [en ligne], http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8393657 (page consultée le 17 mars 2013).
[5] Lev Manovich, The Language of New Medias, Cambridge, MIT Press, 2001 p. 45. Manovich dresse une liste des cinq principes du nouveau statut des médias: représentation numérique, modularité, automatisation, variabilité et transcodage culturel. Version en ligne à accès libre, [en ligne], http://www.manovich.net/LNM/Manovich.pdf ,(page consultée le 17 mars 2013).
Daniel H. Dugas
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