Pour apaiser les dieux (2022)
À mesure que les prêtres se hâtaient, la frénésie du peuple augmentait ; le nombre des victimes diminuant, les uns criaient de les épargner, les autres qu’il en fallait encore. On aurait dit que les murs chargés de monde s’écroulaient sous les hurlements d’épouvanté et de volupté mystique. Puis des fidèles arrivèrent dans les allées, traînant leurs enfants qui s’accrochaient à eux ; et ils les battaient pour leur faire lâcher prise et les remettre aux hommes rouges. Les joueurs d’instruments quelquefois s’arrêtaient épuisés ; alors on entendait les cris des mères et le grésillement de la graisse qui tombait sur les charbons. Les buveurs de jusquiame, marchant à quatre pattes, tournaient autour du colosse et rugissaient comme des tigres ; les Yidonim vaticinaient, les Dévoués chantaient avec leurs lèvres fendues ; on avait rompu les grillages, tous voulaient leur part du sacrifice ; – et les pères dont les enfants étaient morts autrefois, jetaient dans le feu leurs effigies, leurs jouets, leurs ossements conservés. Quelques-uns qui avaient des couteaux se précipitèrent sur les autres. On s’entr’égorgea. Avec des vans de bronze, les hiérodoules prirent au bord de la dalle les cendres tombées ; et ils les lançaient dans l’air, afin que le sacrifice s’éparpillât sur la ville et jusqu’à la région des étoiles.
Gustave Flaubert, Salammbô
Alors que j’étais étudiant à la polyvalente de Mathieu-Martin une professeure de français nous avait fait lire Salammbô de Flaubert. Ce roman historique, de tumultes et de batailles, d’hommes écrasés par des éléphants, d’autres dévorés par des lions, raconte l’histoire de Salammbô et de son amour pour le chef des mercenaires. La ville de Carthage est assiégée par les barbares qui demandent à être payés pour leurs services rendus en Sicile. Bientôt la ville manque d’eau et de nourriture, et dans la chaleur de plus en plus accablante le vent de la violence souffle avec une énergie redoublée. Ce qui m’a le plus marqué dans ce livre a été le chapitre consacré au Moloch, un monstre divin dévorateur au corps d’homme et une tête de taureau à qui l’on sacrifiait des enfants.
En apprenant la nouvelle de la fusillade de Uvalde au Texas, et un peu plus tard en voyant le logo de la convention de la National Riffle Association de Houston, je me suis rappelé Salammbô et l’infanticide rituel au Moloch. Ces enfants jetés dans l’antre du monstre, sacrifiés pour apaiser les dieux, avaient soudainement une présence texane. Les évènements qui ont eu lieu dans cet état américain, comme ceux de Sandy Hook au Connecticut, sont d’une horreur impossible à quantifier, mais aux États-Unis, et ce jusqu’à nouvel ordre, c’est le prix que les Américains ont décidé de payer. Pour le droit d’accès aux armes à feu un échange doit avoir lieu, une transaction, un sacrifice : des enfants doivent mourir. Dans le continuel défilement de ces tragédies, il devient de plus en plus clair que la fonction première de ces sacrifices est de rendre hommage au dieu des armes à feu. Ces drames sont en quelque sorte les pierres d’assise sur lesquelles la soi-disant sacralité du deuxième amendement est érigée. Il est vrai que la réaction de Joe Biden est immensément plus directe que celle de Barack Obama après Sandy Hook, mais avant de se réjouir de la fin des massacres, il faudra voir si ces vœux se traduiront en actions concrètes. D’ici là, les sacrifices ne font pas seulement partie du quotidien, ils sont essentiels au culte.
Dans cette optique, les Américains et les médias ne devraient plus parler des vies perdues, car elles sont garantes du privilège de tirer sur tout ce qui bouge. Dans un pays où il y a plus d’armes que de personnes, notre indignation est sans importance, elle ne changera pas le cours des choses. Dara Rosen, une ancienne élève et survivante de la fusillade à l’école Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride, confiait dans un article paru le 29 mai 2022 dans le journal The Guardian, qu’elle-même perdait espoir de voir les choses changées. La mort de vingt enfants âgés de six à sept ans à Sandy Hook n’a pas réussi à faire tourner le vent de la folie, et le poids des dix-neuf enfants âgés de 9 ou 10 de la fusillade d’Uvalde ne suffira probablement pas à changer la donne. Le vent souffle trop fort et la chaleur est de plus en plus accablante.
I hid in fear while a gunman killed 17 at my school four years ago. Why has nothing changed?
https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/may/29/texas-school-shooting-us-gun-control
Salammbô – Chapitre 13 – Moloch
https://www.mediterranees.net/romans/salammbo3/salammbo13.html
Les sacrifices d’enfants chez les Carthaginois
https://www.lhistoire.fr/les-sacrifices-denfants-chez-les-carthaginois
Le sacrifice dans la Bible / Sa fonction théologique
https://www.cairn.info/revue-pardes-2005-2-page-161.htm
National Rifle Association
https://www.nraam.org/
The True History Of Moloch, The Ancient God Of Child Sacrifice
https://allthatsinteresting.com/moloch
Biden demands action on guns: ‘How much more carnage are we willing to accept?’
https://www.politico.com/news/2022/06/02/biden-demands-action-on-guns-how-much-more-carnage-are-we-willing-to-accept-00036916
The Real Reason Obama Didn’t Pass Gun Control
https://www.politico.com/magazine/story/2019/08/16/obama-gun-control-227625/
Now is the time to do something about gun violence.
https://obamawhitehouse.archives.gov/issues/preventing-gun-violence
President Obama Speaks on the Shooting in Connecticut
https://obamawhitehouse.archives.gov/blog/2012/12/14/president-obama-speaks-shooting-connecticut
Discours d’acceptation – Prix de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick pour les arts littéraires (2022)
Voici le discours que j’ai lu lors de la remise des Prix de la lieutenante-gouverneure pour l’excellence dans les arts.
Bonsoir mesdames, messieurs. J’aimerais tout d’abord souligner la présence de son Honneur, l’honorable Brenda Murphy, lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick et de sa conjointe son Honneur Linda Boyle, de l’honorable Tammy Scott-Wallace, ministre du Tourisme, du Patrimoine et de la Culture, de Madame Isabelle Thériault, députée de Caraquet, de Monsieur David Coon, député de Fredericton-Sud, du Cercle des Ainés ainsi que de Maggie Paul.
C’est avec beaucoup d’émotion que j’accepte ce prix de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick pour les arts littéraires. J’aimerais remercier artsnb ainsi que les membres du jury qui ont pris la décision de m’octroyer cet honneur. Un merci tout particulier à David Décarie d’avoir si gentiment proposé ma candidature.
J’aimerais ici remercier les personnes qui m’ont aidé au fil des ans : mes parents, bien entendu; mon père qui m’a légué à moi, à mes sœurs et à mes frères le goût et la passion des livres; merci aussi à celles et à ceux qui m’ont encouragé à préciser ma pensée; Gérard Étienne qui le premier m’a offert ses commentaires; Gérald Leblanc, mon premier éditeur aux Éditions Perce-Neige; Michel Henri des Éditions Michel Henri; denise truax des Éditions Prise de parole et Catherine Payrare du Small Walker Press. Enfin je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance à Valerie LeBlanc qui, depuis plus de trente ans, m’accompagne dans tous mes projets. Quelques-uns des livres et des vidéopoèmes produits ont été coécrits par Valerie, ce qui fait que ce prix est aussi le sien.
Je ne pourrais passer sous silence l’immense contribution d’organismes qui continuent d’enrichir l’écosystème littéraire de notre province en donnant la parole à tant d’autrices et d’auteurs d’ici et d’ailleurs. La revue Ancrages et le Festival acadien de poésie de Caraquet sont deux piliers du secteur francophone qui soutiennent une effervescence d’activités. L’Association acadienne des artistes professionnel.le.s du Nouveau-Brunswick et Acadie Vie, avec son Prix littéraire Antonine-Maillet, sont également des entités qui font de notre monde un environnement plus sain.
La langue est un organe et un outil. Elle nous permet d’entrer en contact. Les langues (au pluriel) décuplent ce pouvoir. L’écrivaine Inez Baranay, née à Naples en Italie de parents hongrois, a grandi en Australie. Elle disait qu’une culture bilingue pouvait donner un accent différent à la façon dont un auteur ou une autrice pense. Cette différence peut s’observer facilement devant n’importe quelle étagère de bibliothèque. Il est en effet facile de voir dans quelle langue les livres sont écrits : les titres des livres français et allemands par exemple, nous font pencher la tête vers la gauche, and English or Italian books make us lean to the right. A bilingual ‘bibliothèque’, by alternating the movement of the head to the left and then to the right, will exercise the sterno-cleido mastoid muscle and decrease the stiffening of the neck muscles. Théoriquement, au Nouveau-Brunswick personne ne devrait souffrir de torticolis.
Mais au-delà des manières de voir le monde, il y a la question existentielle de la raison de l’écriture. Alors oui, pourquoi donc écrire ? On écrit pour dire le monde, pour témoigner de sa réalité, pour faire sens de ce qui nous entoure. On écrit pour s’embarquer dans le tournoiement du monde et le questionner s’il le faut. Nous vivons aujourd’hui dans une période où il est de plus en plus difficile de faire sens : tout semble déraper dans les glissements des guerres sans fin, de l’urgence face aux changements climatiques, de la pandémie qui s’éternise. Un monde de plus en plus nuancé par nos particularités et non par notre universalité, par le nous et non plus par le vous. Dans tous ces bombardements, notre résilience est mise à rude épreuve et les chemins de la création, comme tous les autres chemins de la vie, sont encombrés de plus en plus obstacles et de doutes.
Oui, c’est l’urgence de la guerre qui domine aujourd’hui, mais nous devons persister à dire le monde, car la création en est le souffle et nous le savons toustes : l’être humain ne peut retenir sa respiration qu’une ou deux minutes tout au plus. Nous sommes ainsi faits. Les artistes persistent à respirer profondément, car c’est une manière de s’acquitter du passé, de s’affranchir de l’avenir et de dire le présent. Toute création permet de refaire le monde, de le construire avec plus de générosité, avec plus d’oxygène, et chaque bombe, chaque missile, chaque char d’assaut acheté puis détruit représente des richesses dérobées à l’humanité. La création s’oppose à tous les mouvements d’obscurantisme qui reviennent sans cesse hanter le monde, le défigurer, lui dérober sa lumière. Allen Ginsberg disait The only thing that can save the world is the reclaiming of the awareness of the world. That is what poetry does. Cette conscience du monde est ce qui nous permet de nous sentir exister, d’être présent à nous-mêmes. Sans elle, le monde n’existerait pas et sans elle, le monde ne pourra pas être sauvé.
Et c’est aux artistes que revient la tâche de réinventer le monde, de réimaginer notre présence dans ce monde. Je pense à tous ces projets qui tendent à rapprocher artistes et scientifiques. Mais je me dis qu’il faudrait bien un jour avoir un programme qui offre non seulement aux peintres de travailler avec des biologistes, mais des programmes qui offrent la chance aux physicien.ne.s de travailler avec des poètes. Cela n’existe pas, pourtant nous savons tous que la vie est une voie à double sens et qu’une conversation ne peut exister sans la contribution de tout le monde.
Adieu Twitter. (2022)
Je suis triste d’avoir supprimé mon compte Twitter. J’étais sur la plateforme depuis 2009 et j’aimais beaucoup le format. Je me sens un peu orphelin ce soir, mais la venue d’Elon Musk a changé la donne. Plusieurs ont décidé de rester sur Twitter malgré la prise de contrôle, quelques-uns ont même déclaré qu’en restant ils résistaient à l’oppresseur. De mon côté, je pense que la venue d’un tel personnage, d’un égocentrisme qui rivalise avec celui de Trump, est dangereuse. Twitter est maintenant le jouet privé d’un grand malade et je ne veux en aucun cas m’associer et encourager ses lubies. D’autre part, c’était vraiment facile et très rapide d’effacer 13 ans de gazouillis.
I am sad to have deleted my Twitter account. I was on the platform since 2009 and I really liked the format. I feel orphaned tonight, but Elon Musk’s arrival changed the game. Many have decided to stay on Twitter despite the takeover. Some have cited that by staying, they are poised to participate in a kind of resistance to the oppressor. For my part, I think that the arrival of such a character, with an egocentricity that rivals Trump’s, is dangerous. Twitter is now the private plaything of a madman, and I don’t want to be associated with or encourage his whims in any way. On the other hand, it was really easy and quick to erase 13 years of tweets.
Rugissements en dents-de-lion (2021)
Je n’ai jamais pensé que Moncton pouvait avoir autant de fleurs sur ses pelouses, mais voilà, tout à coup la ville fleurie sous nos yeux et sous nos pieds !
Ce qui m’étonne le plus, ce n’est pas que les pissenlits poussent presque partout, c’est la vitesse à laquelle nous les avons acceptés; du mépris à l’adoration en quelques semaines ! On dirait que tout le monde écoutait la même émission, le même podcast, a vu la même annonce, et a décidé d’agir tous en même temps. Je n’avais jamais entendu parler de ce No Mow May - Pas de Tondeuses en Mai avant le début du mois, alors pour moi l’éclosion est encore plus spectaculaire.
L’aspect écologique constitue évidemment l’essentiel de l’affaire, mais ce qui me fascine encore plus c’est ce qui est sous-entendu socialement : la pression à faire ou ne pas faire comme tout le monde, c’est-à-dire de tondre ou de ne pas tondre, et surtout les contradictions qui émanent de nos actions. Dans nos sociétés de plus en plus polarisées, les parterres avec les pissenlits et ceux sans pissenlits s’apparentent à des déclarations publiques de nos positions politiques. Apparemment, la plupart des Monctoniens sont en faveur de cette initiative, mais il y a qui continue de résister à l’envahisseur. J’entends depuis une semaine des propriétaires avec leurs tondeuses qui font discrètement leur travail. Dans la cour arrière tout d’abord, à l’abri des regards, puis enhardis, sur la pelouse devant la maison. J’ai aussi pu constater l’effet boule de neige : un voisin qui tond réveille le besoin presque préhistorique de tondre chez un autre.
Si le gazon parfait a été l’emblème du rêve américain, un rêve qui s’est développé et accentué avec la popularité du golf dans les années 50[1], notre sensibilité pour la biodiversité semble avoir pris le dessus. Je dis « semble », car nos actions sont souvent des façades qui nous donnent bonne conscience.
En ville, il y a des terrains où fleurissent un nombre incroyable de pissenlits, mais souvent on peut voir stationné à côté de ces jardins botaniques in situ deux ou trois voitures, des camionnettes et des VUS surdimensionnés. Le nombre, et le fait que ces véhicules soient tous énergivores ne semblent pas poser problème à cette conscience écologique naissante. The sky is the limit, the bigger the better, comme on dit.
Il y a aussi les clubs de golf qui n’ont pas emboîté le pas, mais ça, on n’en dit rien. Pas de Tondeuses en Mai ne s’applique apparemment pas à ces temples de la destruction environnementale, ils sont des intouchables. Comme un fusil dans un saloon de l’ouest, notre prise de conscience doit rester au vestiaire du pro shop.
Devant l’implacable nécessité de la croissance économique, la sincérité de plusieurs de nos gestes écologiques est difficile à cerner. Je me demande souvent comment notre besoin de consommer s’accorde avec notre désir accru de biodiversité. Dans nos sociétés de consommation, on nous dit que ce n’est pas en réduisant nos activités que nous allons faire une différence, mais en achetant d’autres objets qui nous permettront de consommer autant sinon plus qu’avant, et ce en laissant une empreinte carbone moindre. On offre un crédit d’impôt à la personne qui achète un véhicule électrique, mais pas à celle qui décide de faire une vie sans voiture. Je ne sais pas si nous allons sauver la planète en ne faisant que des choses qui ne changent pas trop notre mode de vie, mais c’est là que nous en sommes.
Nos bonnes intentions sont truffées de failles, et je suis d’accord, il y a un début à tout. Alors qui sait, les pissenlits sont peut-être les rugissements qui nous feront changer de cap.
Daniel H. Dugas
Le 23 mai 2021
[1] Voir : American Green: The Obsessive Quest for the Perfect Lawn, Ted Steinberg, WW Norton, 2007. Compte rendu de livre par le New York Times : https://www.nytimes.com/2006/03/13/arts/american-green-the-obsessive-quest-for-the-perfect-lawn.html
Pour une perspective locale du mouvement Pas de Tondeuses en Mai, voir L’Alliance du Bassin Versant Petitcodiac
http://www.petitcodiacwatershed.org/?page_id=1588&lang=fr
The American Obsession with Lawns - Scientific American Magazine (May 3 2017)
https://blogs.scientificamerican.com/anthropology-in-practice/the-american-obsession-with-lawns/
The Life and Death of the American Lawn - The Atlantic (28 August 2015)
https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2015/08/the-american-lawn-a-eulogy/402745/
How the Perfect Lawn Became a Symbol of the American Dream - History Channel (17 February 2021)
https://www.history.com/news/lawn-mower-grass-american-dream
Des crises (2021)
Je pensais dernièrement à la crise sanitaire et la façon dont elle avait propulsé les intervenants des soins de santé à l’avant-plan de toutes les sociétés. Notre avenir et notre devenir dépendent de leurs actions et de leur courage et je suis bien content qu’ils relèvent ainsi le défi. Je me disais aussi qu’une fois toute cette histoire de pandémie terminée, nous devrions peut-être avoir une crise esthétique, question de ramener à la lumière les artistes, les poètes et les penseurs jetés dans l’ombre du coronavirus.
Je voyais déjà un monde nouveau apparaître sous mes yeux. Mais en y pensant encore un peu plus, je me suis rendu compte que cette crise esthétique n’arrivera jamais, pour la simple raison qu’elle est déjà ici, qu’elle a toujours été ici. On a qu’à regarder les mouvements artistiques récents comme le « formalisme zombie » ou le « Hi-Lite » (une forme d’art pour un public qui n’aime pas les idées compliquées et que Dean Kissick, rédacteur au magazine Spike, qualifiait de « Bimbofication of art »), pour voir à quel point nous nageons dans des eaux boueuses.
Comme Némo, je venais de tomber de mon lit, et les feux de la rampe de la réalité m’éblouissaient impitoyablement. Il ne me restait, en clignant des yeux, qu’à espérer que les formes dansantes soient amicales.
Crédit image: Library of Congress
Bufford’s shadow cards, sheet no. 41. c1871.
Jean Malavoy (2020)
Comme plusieurs, je suis extrêmement triste d’apprendre le décès de Jean Malavoy. La première fois que je l’ai rencontré, c’était à Antanarivo au Madagascar en 1997, il était responsable des activités culturelles pour la composante Canada lors des IIIes Jeux de la Francophonie. Je me souviens d’un grand souper festif avec les équipes du Canada, du Québec et du Nouveau-Brunswick. J’étais assis à côté de Jean. Il y avait beaucoup de joie, de rire, de musique. J’avais écrit dans le vif du moment un texte que je lui avais dédicacé. Le voici :
La limite élastique, 1998
Les Éditions Perce-Neige
Rabbit Brook (2020)
La ville de Moncton tenait hier une séance publique sur la proposition de rezonage du 211, chemin Mapleton (restaurant Skipper Jack’s). Je suis très content que le plan visant à couvrir une partie du ruisseau de Rabbit Brook ait été rejeté. Je m’opposais au rezonnage et je prévoyais participer à la séance, malheureusement, une urgence m’en a empêché. On m’a dit que mon texte avait été distribué aux personnes présentes. J’ai pensé le publier ici :
Le sentier Ruisseau Rabbit à Moncton fait tout au plus trois kilomètres et demi de longueur. Ce n’est pas l’un des grands sentiers de l’Amérique du Nord, mais je l’emprunte régulièrement, il traverse mon quartier. Une des sections, que j’aime particulièrement, longe le ruisseau, à cet endroit on a presque l’impression d’être en forêt.
Étant donné que le sentier est si petit, il me semble que sa dégradation, pour créer plus de place de stationnement, devient quelque chose de symbolique. Pourquoi s’acharner sur les plus petits ou les plus faibles sinon pour démontrer que le pouvoir de l’être humain est supérieur ? D’une certaine manière ce petit lopin de terre est le symbole de la résilience de la nature et de le détourner de « sa » nature serait le rendre muet.
D’après Jean-Guy Leger, Coordinateur des transports pour la Ville, 4,6% de la superficie totale de la ville de Moncton est couverte par des aires de stationnement pour automobiles. Ce chiffre est atténué évidemment par de larges zones boisées qui entourent la ville et qui font partie de son territoire. D’après ce que j’ai pu comprendre, aucune analyse n’a étudié le pourcentage de stationnement dans la zone développé à l’exception du centre-ville. Et là, la situation est dramatique. Toujours d’après Monsieur Leger, la surface de stationnement totale est de 42%! Notre ville est un stationnement à ciel ouvert où les piétons esquivent Toyota et Ford F-150.
« A Pattern Language » est un essai écrit en 1977 sur l’architecture, l’urbanisme et l’habitabilité communautaire. Dans le chapitre intitulé « Nine Per Cent », on dit qu’il n’est pas possible de créer un environnement pour les humains lorsqu’on utilise plus de 9% du territoire pour le stationnement.
Et puis, ce n’est pas seulement le parcage qui est problématique. Récemment, la ville de Moncton adoptait une motion visant à en faire davantage pour lutter contre les changements climatiques. C’était une belle initiative, mais un mois seulement après avoir timidement balbutié l’urgence climatique, le département d’ingénierie de la Ville proposait de réduire le nombre de trottoirs, qui seraient trop coûteux à entretenir.
On semble être d’accord, la ville pourrait être plus verte et plus humaine, mais créer encore plus de stationnements n’est pas une action ni responsable ni visionnaire. C’est pour cela que j’enjoins la ville, ma ville, à ne pas détruire ce petit bout de verdure. Oui, il y a des déchets qui s’y accumulent, je le vois régulièrement, mais il bon de noter qu’il n’y a à cet endroit aucune poubelle. Et dans le fond, on le sait tous, ce n’est pas ce petit ruisseau de rien du tout qui jette les sacs de chips et les tasses de café Tim Horton dans le ravin, ce sont nous, les humains.
Daniel H. Dugas
Sur la dune de Bouctouche « comme si tout’l monde se connaissait. » (2020)
L’autre jour, alors que nous marchions sur la dune de Bouctouche, nous avons croisé deux femmes, une qui était assise dans le sable près du rivage et l’autre qui marchait lentement dans l’eau à mi-corps. J’ai pensé en la voyant ainsi marcher (parce que l’eau est encore très froide à ce temps de l’année) qu’elle allait aux toilettes dans la mer. C’est peut-être parce que nous regardions la baigneuse que celle assise, en voulant détourner notre attention, nous lança: « Vous avez l’air des touristes ! » Surpris et un peu ébranlé, je répondis par un simple non.
En continuant notre marche, je me suis mis à penser à cette étrange remarque. Elle sous-entendait que nous n’avions pas l’air du coin, qu’on détonnait. Le contexte de pandémie dans lequel nous vivons rend cette question quelque peu problématique. Un commentaire xénophobe qui se basait soit sur notre apparence physique, soit de la façon dont on s’habillait. Ce n’était pas nos accents, car elle nous avait jugés avant qu’on eût ouvert la bouche. Si nous n’étions pas des alentours, nous étions d’ailleurs et par le temps qui court tout ce qui vient d’ailleurs est une menace pour la santé publique. Juste pour voir sa réaction j’aurais dû lui dire, en toussant un peu, qu’on arrivait à l’instant de la ville de New York. Ça aurait pu marcher, car je portais cette journée-là un t-shirt de l’exposition Artistic Licence qui avait été présentée au Guggenheim l’automne dernier.
Mais qu’en est-il de ce « Vous avez l’air des touristes » ? Est-ce que c’était une insulte ou plutôt une boutade qui visait à nous faire déguerpir; une tactique pour que les deux acolytes puissent occuper en toute quiétude la totalité de la dune? Je ne sais pas. En fin de compte, cela n’a pas trop d’importance, je pouvais toujours me réjouir que dans ce coin de pays, apparemment au patrimoine génétique réduit, nous ne partagions pas tous les traits communs.
Heureusement pour nous, nous n’avons pas croisé d’autres villageois avec des torches et des fourches. Personne n’est venu nous menacer. Cette journée-là nous étions des étrangers, une gang de New York just on our own.
—————————–
Photos de Valerie LeBlanc
‘…comme si tout’l monde se connaissait’ est un vers du texte Tableau de Back Yard de Guy Arsenault tiré du livre Acadie Rock (1973).
Sur la route (2020)
Le sentier Ruisseau Rabbit à Moncton fait tout au plus trois kilomètres et demi de longueur. Ce n’est pas l’un des grands sentiers de l’Amérique du Nord, mais je l’emprunte régulièrement, il traverse le territoire, la zone où je vis. Une des sections, que j’aime particulièrement, longe le ruisseau; à cet endroit on a presque l’impression d’être en forêt.
Sur les sentiers
L’autre jour alors que je marchais dans le petit boisé, j’ai entendu quelqu’un siffler bruyamment. Comme je ne savais pas d’où provenait l’avertissement, j’ai regardé instinctivement à ma droite, vers les cours arrière des maisons qui bordent le sentier, en pensant que quelqu’un appelait son chien. À ce moment, un autre sifflement plus fort s’est fait entendre. J’ai regardé derrière moi et un Eddy Merckx, un Lance Armstrong local, habillé en tenue de compétitions me dépassa en trombe. Il devait faire entre trente et trente-cinq kilomètres à l’heure. Je me suis tassé sur le côté en le regardant passer.
Si on voyait ces mêmes ratios de vitesse transposés sur les routes, nous serions tous sidérés par leur ampleur. La marche normale et dynamique se situe à une vitesse médiane de 5 km/heure et la vitesse normale standard à vélo est de 20 km/heure. Si je marche à 5 km/heure et que le siffleur arrive à trente-cinq kilomètres/heure, il va sept fois plus vite que moi. Allons maintenant sur l’autoroute où la vitesse est limitée entre 60 et 100 km/heure. Une automobile roule, disons à 100 km/heure, une autre voiture klaxonne derrière, et la dépasse à 700 km/heure. C’est évidemment trop vite et je suis convaincu que ça ne serait pas toléré. Malheureusement, pour les piétons, c’est quelque chose qui arrive assez souvent.
Même si la majorité des cyclistes partagent les sentiers avec les piétons de façon respectueuse, il y en a plusieurs qui utilisent ces chemins comme des pistes de course avec les piétons comme obstacles dynamiques. Mais ça, ce n’est pas nouveau, dans la chaîne alimentaire des modes de transports, le prédateur alpha est l’automobiliste, le cycliste – quoi qu’on en dise – est en deuxième position. Le piéton lui fait office de phytoplancton, ou de zooplancton. Parce qu’il est le moins rapide, il est dans le chemin de tout le monde – même sur les trottoirs qui lui sont pourtant réservés.
Sur les trottoirs
Dans la nouvelle normalité dans laquelle nous nous vivons, plusieurs d’entre nous avons remarqué que les trottoirs ne sont pas très larges. Il est impossible de garder une distanciation sociale sur 4 pieds de largeur. Si l’on y ajoute des bicyclettes, le problème est vite décuplé. Parce qu’elles ont des roues, la solution la plus logique est de voir ces vélos circuler sur les routes. La ville de Moncton a même un arrêté (no T-410[1]) où il est stipulé qu’il « est interdit d’utiliser un trottoir autrement que pour un usage piétonnier […] » En 2012, la police de Moncton a resserré brièvement les règlements et donné quelques contraventions, mais il semble que depuis il y a eu un relâchement considérable[2].
À toute les fois que je vois un cycliste s’approcher sur un trottoir, je me demande pourquoi il a pris cette décision. Pourquoi rouler sur un trottoir avec des trous et des bosses lorsqu’une piste cyclable existe juste à côté? C’est un grand mystère qui s’explique peut-être par la peur d’être happés par un véhicule. Ce qui est étonnant et déconcertant tout à la fois, c’est qu’ils n’ont aucune crainte de nous frapper, le danger n’existe que pour eux. Nous, les piétons, nous ne sommes qu’une espèce en voie de disparition, une extinction qui n’arrive pas assez rapidement pour certains.
Daniel H. Dugas
le 22 mai 2020
[1] ARRÊTÉ no T-410, Ville de Moncton
http://www5.moncton.ca/docs/bylaws/By-Law_T-410_Use_of_Streets-arrete_utilisation_rues.pdf
[2] Moncton police crackdown on cyclists
https://www.cbc.ca/news/canada/new-brunswick/moncton-police-crackdown-on-cyclists-1.1267573
The seagulls and us (2019)
Politically, we are like a colony of seagulls in a parking lot near McDonald’s or Wendy’s. We look for scraps of food; fries, morsels of meat, even a pickle. We work individually, picking at other birds that threaten to steal what looks like loot. And then amid this disorganized assembly, someone walks by; one man going home or to the grocery store, and all of the birds looking for food fly off in fright. I always find it amazing, that a huge flock of birds can be so afraid of one harmless man going out to run an errand, while longing to lay down on the couch at home. The birds don’t have any understanding of the power they hold. If they were aware, they would stand up to the passer-by and HE would be the one running for his life. But now the man is in his house, watching TV, and he’s probably not even thinking about the birds that are still looking for food and skittering away whenever someone walks by.
Politically, we are like a colony of seagulls found in a parking lot because we seem unable to realize and assume our strengths. We can only conceive of two outcomes for any election: it will be a Liberal government or a Conservative government. In our minds, there are no other possibilities. We either win a fry or a pickle type of government. If we were like the enlightened seagulls of my dreams, we would stand up to passers-by and vote, not for one or the other, but for the party that reflects our beliefs. And we would finally elect someone else, the world would be a better place.
The fear that we have, that if it’s not daytime it must be night-time, can be likened to the fear that makes all birds shake in their boots. Of course, if there was a proportional representation system, or a least an electoral reform like was once promised not too long ago, we would find parking lots with both the birds and the passers-by in happy co-existence.
Daniel H. Dugas
November 6, 2019
What Trudeau said: A look back at Liberal promises on electoral reform
Tania Kohut, December 2, 2016
Why Do Seagulls Hang Out in Parking Lots?
Matt Soniak, June 30, 2014
Image: Library of Congress
Zoo: Billy Sea Gull, July 10, 1920
Daniel H. Dugas
Archives
Blogroll
- A.I.R. Vallauris
- ACAD
- Adobe additional services
- Adobe Creative Cloud
- AIRIE
- Amaas
- Amazon Author Central
- ARTothèque
- Australian Poetry
- Basic Bruegel
- Bitly
- CCCA
- CDBaby
- Cycling 74
- Dissolution
- Éditions Prise de parole
- Emmedia
- eyelevelgallery
- FAVA
- Festival acadien de poésie
- Festival FRYE Festival
- FILE – Electronic Language International Festival
- Freeware list
- Fringe Online
- Galerie Sans Nom
- Gotta Minute Film Festival
- Instants Vidéo
- JUiCYHEADS
- Kindle Direct Publishing
- Klondike Institute of Art and Culture
- La Maison de la poésie de Montréal
- La Maison de la Poésie et de la Langue française Wallonie-Bruxelles
- Laboratorio Arte-Alameda
- Le Centre Jacques Cartier
- Liberated Words
- Maison Internationale de la Poésie – Arthur Haulot
- MediaPackBoard
- Miami Book Fair International
- Monoskop
- Mot Dit
- NSCAD University
- Paved Arts
- PoetryFilm
- Portail des auteurs du Nouveau-Brunswick
- RECF
- Revue Ancrages
- Salon du Livre du Grand Sudbury
- Sculpture Space
- Subtropics.org
- Sydney college for the arts
- The Centre for Contemporary Canadian Art
- The New Gallery
- Trevigliopoesia
- tumbler-documents
- V Tape
- Valerie LeBlanc
- VideoBardo
- Void Network-Κενο Δίκτυο
Categories
- #covidpoèmes
- Advertisement
- AIRIE
- Ancrages
- anthology
- Anthropocene
- Architecture
- Around Osprey
- art
- Article de presse
- arts visuels
- audio
- Australian Poetry
- Basic Bruegel Editions
- Book
- book fair
- Cafe Poet Program
- Ce qu'on emporte avec nous
- Citations gratuites
- Collaboration
- commentaire
- commentary
- Compte rendu
- conférence
- Conservation Foundation of the Gulf Coast
- COVID-19
- Critique littéraire
- culture
- Daniel Dugas
- Design
- Édition Michel-Henri
- Éditions Perce-Neige
- Éloizes
- Emmedia
- emoji etc | émoji etc
- Environnement
- essai
- essay
- Everglades
- Exhibition
- festival
- Festival acadien de poésie
- Festival Frye Festival
- FIPTR
- Flow: Big Waters
- Fundy
- Habitat
- installation
- Instants Vidéo
- interactivity
- journal
- JUiCYHEADS
- Kisii
- L'Esprit du temps
- laptop
- Leaving São Paulo
- lecture
- Livre
- logos
- Magazine
- Miami Book Fair
- Moncton 24
- novel
- OASIS
- oil spill
- perception
- performance
- Photo
- poésie
- Poetic Licence Week
- Poetry
- politics
- politique
- press
- Prise de parole
- Revue Ancrages
- salon du livre
- sculpture
- Sculpture Space
- sound
- Souvenirs
- Spirit of the Time
- Style & Artifacts
- Symposium d'art/nature
- talk
- television
- The New Gallery
- Uncategorized
- Valerie LeBlanc
- vidéo
- vidéopoésie
- Videopoetr/Vidéopoésie
- videopoetry
- visual arts
- What We Take With Us
- youth literature