Une mouche du printemps (2011)
Aujourd’hui c’est l’incontournable, l’inévitable jour de la marmotte. Verra-t-elle son ombre ? Serons-nous sous l’emprise de l’hiver jusqu’à la fin de l’hiver ou pire, jusqu’à l’été prochain ? Peu importe, cet après-midi j’ai vu une mouche qui dormait comme une marmotte. Elle était immobile, comme en état d’apesanteur sur une vitre extérieure, agrippée dans le gel. Des flocons de neige tombaient et venaient s’accrocher à ses pattes.
Le système d’évaluation par les pairs – Entretiens Jacques Cartier (2010)
Table ronde 3 : Évaluer le mérite artistique: repères, évaluation et principaux acteurs? Une discussion entre évaluateurs et personnes évaluées.
Dates : Lundi 22 et Mardi 23 novembre 2010
Lieu : Conservatoire de Lyon 4 montée Cardinal Decourtray 69231 LYON cedex 05
Je participais le mois dernier au colloque — Le soutien public aux arts à l’ère de la montée culturelle des grandes villes dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier qui ont eu lieu à Lyon du 19 au 25 novembre 2010. Il y a eu de très bonnes présentations, dont une conférence du sociologue Pierre-Michel Menger sur les arts, leurs marchés et leurs systèmes d’évaluation. Pour plus d’information, voir la série d’entretiens vidéo disponibles sur le site de Daily Motion
J’ai été invité par le Conseil des Arts du Canada, à prendre part, à titre de panéliste, à une table ronde animée par Aimé Dontigny agent de programme au Conseil des Arts. Le débat s’est déroulé autour de la question de l’évaluation du mérite artistique et plus particulièrement le modèle canadien d’évaluation par les pairs. Karla Étienne, danseuse et adjointe à la direction de la compagnie de danse Nyata Nyata de Montréal ainsi que Thierry Pariente directeur général de l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre de Lyon y participaient aussi.
Le système d’évaluation par les pairs est quelque chose que nous tenons ici au Canada pour acquis. Ma participation m’a donné l’opportunité d’examiner, avec un recul critique, les processus décisionnels et les conséquences des choix qui sont faits.
Il est évident qu’en 45 minutes, il soit impossible de débattre de tous les aspects d’un tel système. Il reste que l’exercice nous as permis, ainsi qu’au public présent, de cerner les grands enjeux et les grands défis de ce modèle.
Voici le texte que j’ai lu comme introduction à ma participation.
Évaluation par les pairs
Le fait d’être choisi pour choisir est un honneur et une grande responsabilité. La tâche de sélectionner en groupe, est une activité intense quelquefois frustrante, souvent épuisante.
C’est une chance inouïe de voir ce qui se fait, à l’échelle du pays, dans une discipline donnée. C’est un instantané de grande qualité, une image fantastique d’énergie, d’explosion et de défis.
Toutes les fois, où j’ai eu l’occasion de servir sur un jury, j’ai été étonné de voir l’immense qualité du travail présenté. Tous les demandeurs qui ont soumis une demande ont travaillé une semaine, deux semaines ou plus encore. Ils ont expliqué leur projet, défini leurs attentes, leurs démarches; ils ont cherché des partenaires; des lieux de diffusions; ils ont calculé des budgets, bref ils ont projeté dans l’avenir une partie d’eux-mêmes. L’investissement est lourd de sens et il est toujours crucial.
Mon point de départ personnel est fondé sur le respect de chaque individu, de chaque rêve. Idéalement, tout le monde devrait recevoir une bourse et pourquoi pas ? Tout le monde a travaillé tellement fort. Malheureusement, les banquiers nous disent que cela n’est pas possible, d’où la nécessité de partager, de juger, de trancher. Il n’y a pas debail out pour les artistes.
Contribuer à la réalisation de sens est un sentiment unique, mais en même temps les rêves qui se brisent, qui s’effondrent par suite des décisions de jurés, ont de lourdes conséquences. Pour ceux et celles qui recevront, par la poste, une lettre de refus, nous sommes — nous les pairs — l’enfer éternel où nous brûlerons jusqu’à la prochaine date limite.
Le modèle d’évaluation par les pairs n’est pas un modèle parfait, mais c’est celui que nous utilisons. C’est vraiment un genre d’autobus à deux segments, connecté par une espèce d’accordéon qui se plie et se ploie sur la route sinueuse des choix à faire. C’est un modèle qui se rapproche, d’une certaine façon, de l’Encyclopédie Wikipédia. Il n’y a pas un usager, ou un juré qui détient la vérité universelle. La réalité se dessine, au fur et à mesure, lentement, par couches successives, superposées, juxtaposées. Elle devient, dans ce grand projet de collaboration entre individu et communauté, l’âme mouvante qui nous représente dans ce moment éphémère.
Le processus est simple et mystérieux à la fois. Une journée, sans crier gare, le téléphone sonne. C’est un agent du Conseil des Arts qui tient devant le combiné une invitation à siéger. Une fois les détails réglés, on vous envoie une boîte de cahiers à lire, 500, 1000, 2000 pages de rêves, de chiffres, de curriculum vitae. Tous ces livres doivent être lus, commentés et notés avant la réunion.
Daniel Dugas
Le 23 novembre 2010
Moncton NB — Lyon, France
Super belle roche noire (2010)
Lorsque j’ai participé au Salon du livre du Grand Sudbury au mois d’avril dernier, les organisateurs avaient un cadeau pour chaque auteur. Le sac qu’on m’a remis, dans le lobby de l’hôtel, était très lourd, j’ai pensé tout d’abord que ça pourrait être du chocolat mais je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas. J’ai glissé ma main dans le sac, à l’aveuglette. L’objet mystérieux, enveloppé dans du papier cadeau, était solide, dur. Je l’ai sorti comme un lapin d’un chapeau et je fus surpris de voir qu’on m’avait donné une pierre. Je l’ai bien regardée, examinée, je l’ai tournée en tout sens. Mais cette roche était différente, on aurait dit qu’elle était tombée de la lune. Elle avait l’aspect d’une pierre ponce, mais sa dureté et sa lourdeur n’étaient pas des qualités attribuées aux pierres volcaniques. J’étais devant autre chose. Elle était noire avec des reflets rougeâtres. Perplexe, j’ai regardé à nouveau dans le sac pour voir s’il y avait d’autres indices, d’autres renseignements, et j’ai trouvé cette carte qui expliquait tout :
Si vous avez ouvert votre sac avant de lire le contenu de la carte vous vous dites peut-être : Hein? Ils nous donnent une roche comme cadeau? Mais, chers invités, ce n’est pas seulement une roche. Oh! Que non. C’est un morceau de slague. De la slague? Dites-vous. Hé oui! De la slague, disons-nous
Malheureusement, il n’y a pas de définition pour la slague ni dans le Petit Robert, ni dans le Multi Dictionnaire. Nous avons cependant trouvé une définition parfaite dans le dictionnaire improvisé de la roche noire de Sudbury. Alors, la slague c’est : de la super belle roche noire qui reste après qu’on fait fondre le minerai pour obtenir du nickel;. Voilà. Et on en trouve ici à la tonne. Plusieurs milliers de tonnes en fait. Donc, on vous en offre. En cadeau. En passant votre morceau est unique. Vous ne trouverez pas un autre morceau de slague comme le vôtre sur toute la planète.
Nous avons imaginé que votre morceau de slague pourrait servir de presse papier. Pal mal hein? Mais on vous invite à nous proposer d’autres utilités potentielles et uniques pour la slague. On serait ravi, en fait!
Bienvenu au salon du livre du Grand Sudbury, votre aventure littéraire chez nous.
L’équipe du SLGS 2010.
Alors voilà, j’ai ramené ma slague chez moi. À l’aéroport, l’agent de sécurité, qui vérifiait mon sac à dos, a trouvé la roche et avec un grand sourire, il a dit :
Ah d’la slague!
J’ai pensé que la pierre pourrait être considérée comme une arme dangereuse, un objet contondant, et qu’il me la confisquerait mais non, il l’a remise dans mon sac et m’a souhaité un bon voyage.
Lorsque je suis arrivé chez moi, j’ai tenté de trouver l’endroit idéal pour ma roche à moi et qui dit haut-fourneau dit Dante! J’ai un petit buste en bronze du poète et je l’ai déposé sur le socle de slague. Sympathique.
Je me suis ensuite dirigé côté jardin, où un petit buste romain, fait en Chine et acheté pour un dollar au Dollarama, siège sur un poteau de bois traité dans la cour. J’ai bien aimé le contraste de la pierre noire avec la blancheur du buste mais ce n’était quand même pas l’endroit parfait.
J’ai aussi pensé à l’utiliser comme balle de ping pong mais sans grand succès.
Tout à coup j’ai eu un éclair de génie, la slague qui est très dure pourrait résoudre le problème de pédale d’accélération de ma Toyota Corolla! Je l’ai donc coincée derrière l’accélérateur en pensant avoir trouvé l’utilisation plus que parfaite. Quoique la couleur de la slague se mariait très bien avec la couleur du tapis, j’ai dû me résoudre, au premier rendez-vous, à l’enlever.
Finalement je l’ai mise sur le rebord de la fenêtre de la cuisine. Je la vois chaque matin flanquée de chaque côté de ses amis les cactus.
La vente de feu d’énergie NB (2009)
Le Nouveau Brunswick aspire à l’autosuffisance en de débarrassant d’un outil essentiel à son développement. Comment allons nous être autosuffisants si nous devenons économiquement dépendants de nos voisins? C’est comme si un naufragé jetait son gilet de sauvetage en échange d’une vague promesse d’être repêché. Énergie NB est en dérive parce qu’elle est mal gérée et c’est probablement pour cela que son président David Hay reçoit des bonus.
Si on est vraiment intéressés à avoir des tarifs encore plus bas, pourquoi ne pas vendre une partie du Madawaska, ou peut-être l’île Miscou tout entière. Et pendant qu’on y est, pour baisser le prix du lait qui ne cesse d’augmenter, Shédiac, Bouctouche et la Sagouine pourraient être cédés en bloc au plus offrant. Une partie des profits pourrait sûrement être utilisés pour payer une autre firme de marketing afin de trouver un autre slogan qu’ ÊTRE…ICI ON LE PEUT. La vente d’Énergie NB veut dire exactement le contraire : ICI…ON NE PEUT PAS ou ON N’EN PEUT PLUS
Cher Mr. Graham, même si l’excellent slogan de la nationalisation d’Hydro Québec en 1962 était : MAÎTRE CHEZ NOUS, ils n’ont pas besoin de l’être chez nous. Si vous aimez troquer pourquoi ne pas faire comme la ville de Clark au Texas qui a échangé son nom pour DISH. En échange les résidents de la ville ont reçu, gracieuseté de DISH Network, un service de télévision de base pour dix ans ainsi qu’un magnétoscope numérique.
On pourrait changer le nom de notre province pour Bombardier pour avoir le privilège de faire une heure de Sea Doo dans la baie de Shédiac à chaque été ou Molson en échange d’une caisse de 12 à chaque Noël. On pourrait même faire un référendum!
Lettre à la Gouverneure Générale (2008)
Madame la Gouverneur générale
Je suis déçu d’apprendre que vous avez accordé à Monsieur Harper l’autorité de fermer le Parlement. Tristement on dirait une scène de Ubu Roi. Le Premier Ministre, incapable de mesurer la gravité de ses actions a créé une situation explosive. Nous voilà du coup replongé dans des tiraillements régionaux sans fins et ce en plein milieu d’une crise économique mondiale. La hargne des conservateurs envers les députés du Bloc Québécois est un geste abject qui n’a pas sa place dans une démocratie. La prochaine étape est sûrement de les proscrire, de les chasser de la colline. Notre Premier Ministre n’est pas un rassembleur, il est de ceux qui attisent les divisions. Régner par la dissension n’est pas une nouveauté, ce qui est nouveau ici c’est votre soutien, votre approbation.
Je suis bouleversé quand je regarde le comportement arrogant de Monsieur Harper. Je suis consterné quand j’entends le discours aliénant des conservateurs. Quelle fourberie! Je pense aux jeunes qui regardent ce qui se passe et je me dis que ce n’est pas un très bon point de départ, que ce n’est pas une belle éducation. Une des priorités de votre mandat est le programme jeunesse. Vous encouragez les jeunes « à tisser des réseaux de solidarité entre eux et à s’allier la collaboration des autres générations dans leurs projets » En soutenant le gouvernement vous encouragez la jeunesse à s’abîmer dans le désillusionnement. Si la démocratie peut si facilement être détournée, ici chez nous, au Canada, quelles sont les chances pour quelle puisse vraiment exister ailleurs?
This is art VS This is not art (2008)
8:44 am
The cold is intense. My walk to the College is like an expedition. My head is in there, somewhere under the layers. As I breathe frost is forming on my scarf and face. I feel the cold creeping into my fingers and back. It is starting to get in through my boots. Under my hood, all I hear is the resonating squeak of my footsteps like a walk in Styrofoam moon boots. It hurts.
8:49
The SAIT campus is already bustling with people. We look like steam engines, puffing white clouds of life that freeze in mid air. I think it’s minus 40C.
Choo! Choo!
8:52
Horror! I spot a conductor/student walking leisurely. His steam is thick like molasses. He isn’t even wearing a tuque. He has a jacket with a hood but he is not covering his head! His face is calm. The man appears to be immune to pain. I am thinking, he looks like me in July…
8:53
As I continue, I think that the man must have lost his power of thought. Then, it strikes me that I am witnessing a performance, an art performance. As Laurie Anderson once played violin while her standing with her ice skates frozen into a block of ice, I interpret that this man was doing something amazing. I just didn’t realize it at the exact moment.
8:57
I arrive – I have made it! I am finally at ACAD. The warmth of the mall hits me like a wall of bliss. Others have arrived at the same time; all look stunned by the brutality of the cold. We move slowly while our clothing regains some sort of flexibility. The mall is filled with the wonderful works of the First Year Studies Exhibition. Near the elevators, there are a few men kneeling down beside their buckets of cement. They are busy repairing broken tiles and have set up a barricade with yellow tape.
9:36
On my way to the Faculty lounge I notice that the monitor of the Diversity booth, which sits in the middle of the Mall, is sporting a black label stuck in the middle of the screen. The label has been made with an old label maker and the white letters state: THIS IS NOT ART. I gaze around the mall before reading the label again. My first thought is that the label points conceptually to surrealist René Magritte’s painting, The Treachery Of Images*. This is after all, an Art school, throbbing with ideas. Satisfied, I continue to the Faculty Lounge. Then…
9:49
I have this weird feeling that maybe the statement on that label was not so layered, not so complex. Maybe someone, here in the innards of this laboratory, needs to have things labelled according to the TELL ME WHAT IS THIS book.
10:31
Time flies. My Sound I class is finishing the set up for a laptop performance in the arthole. Things are going well in the placement of two tables, a P.A. system, and with an orderly jungle of cables and adaptors, 8 laptops have been wired up and are ready to go. Tim from the AV has been helping us. The idea for our performance is to sample sounds with a microphone and create real time loops with the material. As there are 8 loops created at any moment it becomes clear that this is as much a sonic experimentation as an exercise in listening.
11:12
We have been creating texture and rhythm for 30 minutes now. Some of the results are curious, some are engaging, and some make for difficult listening.
11:13
The group has developed a minimal soundscape, almost inaudible, which makes the ghetto blaster of the café overpowering. After a while I decide to ask the café staff to lower its music. The person I ask looks at me without speaking. Without words, the message to me is of the unhappiness of being forced to listen to sound art. The unspoken words might be that the sound experiment is cutting into the musical dreamscape. I thank him for lowering the sound of the ghetto blaster.
11:14
On my way back to the laptop area, I realize how bizarre this non-comment is. I mean this is an Art school. This is a ‘laboratory environment that is committed to unconstrained inquiry’. I begin to wonder many students, here at school, boast a dislike for abstract painting over landscape painting, or for curved shapes over square angles, or for lights that are not of the hue prescribed in the TELL ME WHAT IS THIS SO I CAN MAKE SENSE OF IT book. If there is aesthetic intolerance here, one can only imagine how dangerous it is outside of the lab.
11:40
The performance is over. We have taken all of the equipment down. On our way back to the fourth floor I notice that the workers who were repairing the broken tiles are gone. They have left warnings on the barricade. The warnings state: DO NOT TOUCH. THIS IS NOT AN ARTWORK.
11:40:02
YIKES! Is this another Treachery Of Images or is it just the steam from our mouths making it difficult to see? It is not yet midday and the opportunity to generate dialogue has raised its head three times.
Daniel Dugas
* The Treachery Of Images (La trahison des images 1928-29) is a painting by Belgian Surrealist painter René Magritte, famous for its inscription Ceci n’est pas une pipe.
NB – All of these events took place, not exactly at the times stated here.
Quel est le rôle de l’avant-garde en arts visuels en Acadie? (1999)
Quel est le rôle de l’avant-garde en arts visuels en Acadie?
Lorsqu’on m’a demandé d’écrire sur le rôle de l’avant-garde en Acadie, ma première réaction n’a pas été des plus enthousiastes. Le terme avant-garde est un mot fourre-tout où se retrouve à peu près n’importe quoi. Du salon de coiffure avant-garde à l’avant-garde russe, il y en a pour tous les goûts.
Alors j’ai dû me poser la question de savoir, non pas quel est le rôle de l’avant-garde en Acadie, mais bien si l’avant-garde existait encore et si elle pouvait exister ici. Laissez-moi vous dire ce que j’ai trouvé: “Ils sont le plus souvent pendus, roués de coups, mis aux piloris, ou condamnés à divers supplices.”
C’est ainsi que Voltaire, dans son dictionnaire philosophique, parlait des prophètes. On pourrait en dire presque autant des artistes de l’avant-garde, car les deux font un peu le même métier. Tous les deux sont des tranches-montagnes sans égal.
Ils courent en ligne droite, devancent le Temps, et après avoir gagné quelques mètres d’avance, ils se retournent rapidement et font, à ce Temps inexorable, un pied de nez magistral. Mais voilà, les artistes de l’avant-garde sont le plus souvent ignorés et laissés à eux-mêmes. L’abandon est leur supplice. On a bien dit de Jeff Koon qu’il était the last bit of methane in the intestine of the dead cow of post-modernism [1] , mais en général le désintéressement est presque de rigueur.
L’avant-garde à bout de souffle
Il est impossible de parler de l’avant-garde sans parler du courant dominant – du mainstream – (est-ce à dire que le public est dominé?). Ce courant, qui nous traverse de toutes parts, aime bien l’homogénéité et la rareté d’alternatives. L’avant-garde, elle, se plaît à trouver de nouveaux sentiers, elle explore et quelquefois elle s’égare, et avec elle son public. Elle est souvent difficile à saisir parce qu’elle exige un regard critique. La plupart d’entre nous allons au cinéma ou à la galerie d’art pour nous divertir. L’avant-garde interroge. Pendant que Céline Dion cash in, Yvonne Rainer pose des questions. C’est comme ça…
L’artiste d’avant-garde a été une sorte de prophète des temps modernes. Il fut l’audace même, le précurseur, l’annonciateur qui prépare la venue. Il a souvent été téméraire, arrogant, impertinent, insolent et sans gêne. L’avant-garde a été, au fil de notre siècle, Russe, dada, surréaliste, Léttriste, SI, IMIB, Cobra, Fluxus, néo géo, etc.
Le prophète et l’artiste d’avant-garde, parce qu’il sont en avance sur leur temps, ne peuvent que prétendre jouer le rôle de précurseurs. Ce qu’ils annoncent n’est pas encore là pour leur donner raison. Le Temps est l’outil avec lequel ils fabriquent leur oeuvre et le Temps est devenu un outil de paradoxe. Si le mouvement artistique d’avant-garde s’inscrit dans le XXe siècle, il est au seuil du second millénaire, à bout de souffle et semble manquer de cette pertinence qui fut pendant si longtemps son fer de lance.
Cette perte est attribuable à un fait fondamental : Le Temps s’est dérobé sous ses pieds. L’avant-garde se bute à une élasticité temporelle qui caractérise notre époque. Car comment prédire, comment être le précurseur de n’importe quoi lorsque l’ère dans laquelle nous vivons est un melting pot de toutes les époques?
Dans les revivals des années 50, 60, 70 et bientôt 80, qu’est-ce que le futur sinon des réalités de plus en plus virtuelles, de plus en plus floues et sans attache. La vitesse à laquelle la publicité, par exemple, récupère tout ce qui est nouveau, tout ce qui est audacieux, rend l’audace moins imprudente qu’elle le semblait dans les décennies précédentes.
C’est une époque où les décorateurs de bureaux sont devenus des conservateurs d’art. Avec la chute du mur de Berlin et de l’Union Soviétique, l’avant-garde n’a cessé de glisser sur une peau de banane historique.
Une paralysie de l’audace
Nous vivons maintenant dans une ère où la réussite est tellement importante, ou le besoin d’approbation est tellement fort, qu’il s’est créé une espèce de paralysie de l’audace. Il existe des artistes en début de carrières qui parlent de la peur de commettre des erreurs. C’est aberrant. L’avant-garde est morte il n’existe que de l’art actuel, de l’art d’aujourd’hui.
C’est dans l’art contemporain que les gestes de création extraordinaires existent, ici comme ailleurs, mais comme tout, ils sont de plus en plus guidés par cet esprit d’entreprise, de stratégie et de plan d’affaires. L’art d’avant-garde n’existe plus parce que le Temps est devenu mou et ne peut plus être devancé. Il n’existe que deux choses : l’art contemporain et le folklore. Et ce qui n’est pas actuel est nécessairement nostalgique.
En Acadie les deux coexistent de façon pacifique sans faire de remous, paisiblement. L’un regarde aujourd’hui et l’autre se rappelle d’avoir vu.
L’eau qui stagne est la première à geler
La vraie question donc, est de savoir quel est le rôle de l’art contemporain en Acadie ou si la possibilité de prendre des risques existe encore pour les artistes acadiens. Malgré des limitations évidentes à plusieurs niveaux – le NB et l’I-P-E sont les seules provinces au Canada à ne pas avoir de centre de production vidéo géré par des artistes, quoique la galerie Struts de Sackville vient de créer récemment la structure de leur nouveau Media Centre mais il reste encore beaucoup à faire avant que les artistes puissent y créer – il y a ici des communautés artistiques talentueuses et il existe quelques institutions qui devraient être capables d’infuser aux artistes ce désir de repousser un peu plus loin la frontière du connu et de l’inconnu.
L’art acadien ne fonctionne pas en vase clos, il ne peut que s’insérer dans un discours qui s’articule à l’échelle mondiale. Et pour être effectif, l’art acadien doit défier les conventions, tabasser les traditions et questionner les gestes et les rêves de la société et de l’individu.
[1] Attribué à l’ écrivain et historien d’art d’origine australienne Robert Hughes.
*
L’auteur est artiste pluridisciplinaire et enseignant à l’Université de Moncton.
Publié: publié dans le Ven’d’est, numéro 82, janvier 1999, pp 29 – 31
Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île (1994)
Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île.
Après un séjour de deux ans aux États-Unis l’auteur effectue un retour au Canada et le paysage politique qu’il retrouve est peuplé par les Ralph Klein et les Preston Manning. L’auteur se demande si les changements et l’assainissement des finances publiques finiront par assainir la société en général. « Quand l’Ouest était un océan… et Calgary une île » a été écrit en 1994 et, depuis, la pièce Ubu roi d’Alfred Jarry a célébré son centenaire.
Calgary, le quartier général du Parti Réformiste. Il est 6 heures du soir. Le temps est doux. Je vais marcher le long de la rivière Bow. Les pistes cyclables sont envahies par M. et Mme Performance. Ils sont jeunes, aérodynamiques, enveloppés dans du Spandex et du Velcro fluorescent. Ils courent, ils patinent, ils skient, ils pédalent, ils ont des casques, des genouillères, des gants et des montres approuvées et certifiées pour aller au fond des océans. Toute cette activité me rappelle un livre de bandes dessinées de mon adolescence. Sur la couverture il y a une île grouillante de crabes rouges. Il y a aussi un complexe sportif ultramoderne, vibrant avec une multitude de coureurs et de gymnastes. L’histoire est simple et familière. Un savant devient fou. Il se réfugie sur une île à l’écart du monde et là, dans la solitude, développe l’athlète de l’an 2000. Malheureusement ce développement a la tendance de rendre le cerveau de ces hommes et de ces femmes aussi mou et léger qu’un soufflé. Un de ces cobayes réalise le danger de l’expérience et avec sa compagne, l’héroïne, organise une résistance secrète. L’histoire se termine comme vous l’avez deviné. Le savant, après une lutte intense avec le héros, meurt sur la plage, dévoré par les crabes. Le héros et l’héroïne s’embrassent en regardant le soleil se coucher.
Il est 18 h 30. Le temps est encore doux. Nous nous esquivons les uns les autres avec succès. La piste cyclable longe la rivière et la Memorial Drive. Je bifurque à la gauche et emprunte l’escalier qui permet d’accéder au somment de la falaise. Le rythme est plus lent. C’est une montée ardue. L’escalier est muni de plates-formes où les usagers peuvent s’arrêter et souffler un peu ou tout simplement admirer la vue. À chaque niveau, il est intéressant de se retourner vers la piste cyclable et de voir combien la course est serrée. On se donne du coude, on fait sonner les clochettes des vélos, on siffle, on cri « À DROITE », « À GAUCHE ». Ces derniers avertissements visent les piétons, ces larves rampantes qui persistent à ralentir le flux incessant. Je grimpe plus haut et plus je grimpe, plus il fait calme. À la dernière marche sur Crecent Drive c’est le silence total. La vue est imprenable. La ville est à mes pieds, belle, facile et silencieuse. Le ciel est immense et beau comme seul un ciel de l’Ouest peut l’être. Il y a du mauve dans les nuages, du rose, du bleu, du blanc et les rocheuses sont assises à l’arrière-plan comme dans une peinture romantique.
Tout à coup voici un quartier cossu avec de jolis parcs et de petits chiens de race qui jappent quand les Jeep Cherokee ou les BMW passent. On joue au footbag et au Frisbee. Il est presque 7 heures. Cresent Drive longe la falaise qui entoure la ville, cette ville qui est le centre nerveux du Parti Réformiste et qui est aussi l’ancienne mairie de Ralph Klein. D’où je suis la ville ressemble non pas à un regroupement organique comme il se devrait, mais plutôt à une maquette, adaptable, réglable à volonté. C’est cette idée de société comme maquette, comme modèle réduit de décor de théâtre, qui m’a rappelé l’histoire du savant fou, de ses surhommes et de ces crabes rouges. Dans ma promenade tranquille, je commence à comprendre la solidité qu’on doit attribuer ici aux falaises qui surplombent la ville. Je comprends aussi la sécurité et l’insouciance peut-être, qu’il existe à spéculer sur le nouveau prototype de société qu’on est en train de créer. L’avènement du monde privé (privé comme dans privatiser) quand on a payé son hypothèque et d’autres possessions matérielles peut sans doute être envisagé sous un angle optimiste. Mais voilà, quel est ce monde privé et de quoi est-il fait ?
Calgary doit être la Biosphère numéro 3, après la planète Terre numéro 1, et après la Biosphère numéro 2 du Texas. Dans la nôtre, qui ressemble de plus en plus à celle de l’île aux crabes rouges, nous apprenons tous les jours à nous serrer la ceinture, comme on nous dit, à faire plus avec moins. Nous comprenons maintenant l’importance de toutes ces modes de conditionnement physique. Nous comprenons qu’un corps sain produira beaucoup et beaucoup plus longtemps. C’est une belle coïncidence avec la dégradation éventuelle du système de santé. Simultanément nous saisissons que notre monde nous glisse entre les doigts.
Il est 7 h 15 et le soleil descend tranquillement. Les ombres de la falaise ont déjà envahi ceux qui vivent dans le creux de l’escarpement et ce n’est pas compter ceux qui habitent dans les caves. Quant à moi je marche encore dans la lumière, dans ce quartier romantique, sur la route des réformistes.
Me voici à Calgary dans une société jeune, dynamique, agressive, gagnante et performante. Je ne peux m’empêcher de me demander si cette société sera aussi malléable que les fesses des coureurs dans leurs culottes de Spandex. Fera-t-on d’elle une chose qui pourra être contenue ? Est-ce que le gouvernement de l’Alberta conduit ses affaires comme une entreprise, comme on l’entend souvent, ou comme une compagnie de théâtre vaudeville ? Je dirais comme la seconde et j’ajouterai que la pièce qu’on présente tous les soirs est Ubu Roi d’Alfred Jarry. La mise en scène et le rôle principal sont tenus, naturellement, par l’honorable M. Ralph Klein. On a dit de cette pièce qu’elle était la synthèse absolue de tout drame historique. Voilà certainement quelque chose à quoi les Albertains peuvent s’identifier. Et qui plus est, cette pièce fut écrite par des adolescents de 15 ans, dont Jarry. Jeunes contrevenants du passé ? Dans moins de deux ans, le 10 décembre 1996, pour être plus exact, nous pourrons fêter le 100e anniversaire de la première représentation de la pièce.
Ubu Roi c’est l’histoire d’Ubu qui, poussé par l’ambition, tue le roi de Pologne et s’empare du trône. Il gouverne en dépit du bon sens. Il extermine les nobles, les magistrats et les financiers dans le seul but d’accroître ses richesses. Il se charge lui-même de collecter les impôts. Ubu le roi est finalement défait par le Czar et s’enfuit avec sa femme pour l’Espagne ou la France.
Il y a un lien je pense entre le savant de l’île aux crabes rouges, Ubu Roi et Ralph Klein. Claude Roy dans Description critiques, le commerce des classiques paru chez Gallimard en 1951 :
“Mais ce qui nous touche, en Ubu, c’est son inépuisable actualité, c’est-à-dire sa ressource active. De Hitler à MacArthur, le roi Ubu n’a pas fini encore, hélas, d’être prophétiquement ressemblant, d’être le prototype vengeur de toutes les citrouilles armées qui nous poussent ubuesquement à l’abattoir, après nous avoir décervelés… “
Voilà, il est 8 h 20. La marche s’étire. C’est maintenant le chemin du retour. Un homme est à genoux sur son gazon. Il plante des fleurs et nous nous souhaitons une bonne soirée. Les feuilles seront bientôt sur les arbres. Je vois en bas de la falaise ce que j’appelle « Candy Town ». Un nouveau développement qui inclut un YMCA, un cinéma IMAX, un marché alimentaire, un « authentique » café des années 1880 et un jongleur. Les couleurs sont criardes, l’architecture laisse à désirer comme souvent l’est l’architecture post-moderne et le jongleur semble triste. Je vois bien quelques personnes là-bas, mais elles sont si petites d’ici. On dirait un tableau de Chirico. Une ville où la bombe neutron fut utilisée. Exit à la vie sans endommager cette sacro-sainte propriété privée. Petit monde où les places publiques sont privées.
Je retourne chez moi en pensant au Père Ubu maintenant. J’accepte que le Roi Ralph soit beaucoup Ubu. Physiquement ils ont beaucoup en commun. La corpulence des représentations originales qu’Alfred Jarry nous a données du Père Ubu ressemble étrangement au Roi de l’Alberta. Moralement ils semblent compatibles. La dernière secousse ici, le dernier drame de ce qui n’est encore que le premier acte de cette pièce est sans contredit l’arrogant défi qu’il a lancé aux juges de la cour provinciale. À savoir qu’ils sont des employés provinciaux et à ce titre doivent suivre les directives du cabinet. Klein note qu’il n’est question que de réductions de salaire. Les juges et les criminels sont d’accord pour ensemble s’inquiéter. Notre bon roi n’en veut démordre. Ses conseillers, dans ce qui apparaît comme une vaine tentative, lui ont suggéré de nuancer ses propos. Une crise constitutionnelle gronde à l’horizon, l’indépendance judiciaire est en jeu, lit-on dans les journaux. J’entends résonner ici la voix du Père Ubu :
PÈRE UBU
Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.
PLUSIEURS MAGISTRATS
Nous nous opposons à tout changement.
PÈRE UBU
Merdre. D’abord les magistrats ne seront plus payés.
Que cette crise se règle c’est à n’en pas douter. Dans quelques jours, quelques semaines. Ce qui est inquiétant c’est d’avoir comme roi quelqu’un qui n’hésite pas à s’attaquer aux fondations mêmes d’une société. L’Alberta vogue peut-être vers une cote de crédit triple A, mais est-ce que le prix à payer sera d’accepter froidement l’existence humaine comme étant une ressource naturelle au même titre que la forêt ou le gaz.
Nous ne savons pas encore qui est le Czar dans notre histoire. Ce que nous savons toutefois c’est que le Roi Ralph ne s’enfuira pas en Espagne et surtout pas en France.
Il est 21 h et je descends des hauteurs, par un autre escalier. Je m’enveloppe dans la nuit qui vient, dans le merveilleux royaume de l’Alberta.
Daniel Dugas
Calgary, printemps 1994
Texte publié dans le magazine Satellite, #1 février 1997 p. 18-19
Daniel H. Dugas
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